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HOMMES D’ÉTAT DE LA FRANCE.

de renverser la légitimité : tout au contraire, on l’a vu depuis bien embarrassé et bien empêtré de sa chute ; mais, sans doute, il voulait, chose fort louable, amener la restauration à choisir exclusivement ses ministres dans l’ordre d’idées qu’il prônait, et par conséquent dans le petit nombre d’opposans modérés, dans le noyau d’aristocratie bourgeoise dont il s’était fait le centre. Il y avait d’ailleurs des antécédens historiques favorables à ses desseins dans la vieille monarchie capétienne, et il espérait faire comprendre cela à ces princes qui ne vivaient que de traditions. Louis xi ne s’était-il pas appuyé sur la classe bourgeoise ? Louis xiv, dans un autre système, n’y avait-il pas pris presque tous ses ministres, et quels rois ont exercé en France un pouvoir moins contesté que Louis xi et Louis xiv ? Mais les leçons historiques de M. Guizot, quoique proclamées si haut et avec tout le retentissement possible, n’arrivèrent pas aux oreilles un peu sourdes et d’ailleurs fort bien gardées auxquelles il voulait les faire parvenir. La patience commença à lui manquer ; il força la voix, se fit plus durement prophétique, parla d’un ton plus acerbe, et sans le vouloir, s’éloigna de plus en plus du but où il tendait. L’existence passive d’écrivain lui pesait cependant chaque jour davantage ; il voyait avec peine s’écouler ses années de vigueur loin du pouvoir qu’il avait abordé avec tant de facilité jadis ; il trouvait bien pénible de vivre, à son âge, de beaux discours, comme il s’en plaignait si vivement pour le compte de l’opposition, et il sentait bien qu’il ne pouvait rien fonder sur ses jeunes disciples, qui, moins avancés et moins désillusionnés que lui, n’en étaient encore qu’aux plaisirs du professorat et de la parole. Ce fut alors que, jetant les yeux autour de lui, il avisa ces jeunes gens mâles et vigoureux, restes tout verts et encore frémissans des conspirations de Béfort, de Saumur, de La Rochelle et de l’expédition libérale de la Catalogne sous Pachiarotti et Mina. L’alliance de la force timide et précautionneuse dont il disposait, et de ces forces courageuses et un peu brutales, lui parut devoir produire les meilleurs effets. L’idée se trouva juste. De part et d’autre, on s’enhardit et on se modéra. La force du levier appliquée à l’endroit convenable, le pays fut bientôt en branle, beaucoup trop pour M. Guizot qui, un matin, se réveilla, non pas membre du conseil de Charles x, comme il l’espérait, mais mi-