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LA VEILLÉE DE VINCENNES.

nous dit encore quelques traits indifférens de sa vie ; il n’avait pas eu d’avancement parce qu’il avait toujours trop aimé les corps d’élite et s’était trop attaché à son régiment. Canonnier de la garde des consuls, sergent dans la garde impériale, lui avaient toujours paru de plus hauts grades qu’officier de la ligne. J’ai vu beaucoup de grognards pareils. Du reste, tout ce qu’un soldat peut avoir de dignités, il l’avait. Fusil d’honneur à capucines d’argent, croix d’honneur pensionnée, et surtout beaux et nobles états de services où la colonne des actions d’éclat était pleine. C’était ce qu’il ne racontait pas.

Il était deux heures du matin. Nous fîmes cesser la veillée en nous levant et en serrant cordialement la main de ce brave homme, et nous le laissâmes heureux des émotions de sa vie qu’il avait renouvelées dans son ame honnête et bonne.

— Combien de fois, dis-je, ce vieux soldat vaut-il mieux avec sa résignation que nous autres jeunes officiers avec nos ambitions folles ! — Cela nous donna à penser.

— Oui, je crois bien, continuai-je en passant le petit pont qui fut levé après nous, je crois que ce qu’il y a de plus pur dans nos temps, c’est l’ame d’un soldat pareil, scrupuleux sur son honneur et le croyant souillé pour la moindre tache d’indiscipline ou de négligence, sans ambition, sans vanité, sans luxe, toujours esclave et toujours fier et content de sa servitude, n’ayant de cher dans sa vie qu’un souvenir de reconnaissance.

— Et croyant que la Providence a les yeux sur lui ! — me dit Timoléon d’un air profondément frappé et me quittant pour se retirer chez lui.