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pistolet sur la gorge pour s’arracher la bourse ou la vie. Voyez comme le pouvoir gagne dès que M. Guizot passe à l’opposition ! Il l’usait, ce pouvoir, à force de s’en servir ; il le meurtrissait, tant il l’employait à frapper les autres : maintenant il l’entoure de soins et de tendres précautions ; il lui désigne d’avance la place où il le frappera, il lui assigne chevaleresquement sa part du terrain et du soleil, il n’entre en lice qu’avec des armes loyales ; en un mot il n’a plus que les qualités et les vertus des pauvres et des vaincus, lui qui n’avait pris des conquérans et des vainqueurs que leur dédaigneux orgueil et leurs vices. En vérité, M. Guizot et le pays n’ont qu’à perdre par l’accession de M. Guizot au pouvoir ; ils n’ont, au contraire, qu’à gagner par sa présence dans l’opposition.

Écoutons-le parler dans ces rangs où il est si bien : « Pour que l’opposition soit efficace, il faut qu’elle ait quelque chose à faire. Quand les peuples qui veulent être libres ont acquis le droit de dire qu’ils ne le sont pas, ils le deviendront, mais ils ne le sont point encore. Et tant qu’ils ne le sont pas, la liberté et le pouvoir demeurent également faibles, également incertains. C’est l’état où nous sommes et dont se plaignent tour à tour le pouvoir et la liberté. Ils ont raison l’un et l’autre ; car, dans la nécessité d’exister en commun, ni l’un ni l’autre ne possède de quoi s’exercer et se garantir. Nous l’avons vu. Que le pouvoir soit menacé au centre, que l’opposition paraisse voguer sur lui à pleines voiles, et près de le couler bas, il est partout atteint de paralysie ; ses fonctionnaires, ses amis, les lois, les revenus publics, tous les moyens, toutes les armes dont il dispose, tout est toujours là, et tout est sans vie. L’opposition n’a fait que parler, elle peut tout. Que la chance tourne ; que le pouvoir, n’importe comment, ait repris le dessus au centre, tout est dans ses mains ; il peut tout à son tour. La liberté n’a plus ni forces ni garanties, l’opposition parle encore, et même plus violemment, mais sans effet. La société semble devenue un vaste désert où règne un morne silence, où le pouvoir circule en tous sens, sans être nulle part interrogé ni contredit, où quelques voix s’élèvent en un point, criant aux armes ! c’est-à-dire invoquant, pour ressaisir quelque chance, la destruction de la société. Cette situation ne vaut rien, ni pour rien ni pour per-