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terriblement hostiles à la liberté, c’est encore, il faut le croire, parce que se trouvant placé à l’ombre d’un gouvernement tout jeune et visiblement ébranlé, il se dit que ce qui était à constituer dans ce moment-là, c’était le pouvoir, et alors il se mit consciencieusement à l’œuvre, sans s’apercevoir, dans son ardeur de construction, qu’il dépassait toutes les limites, et qu’il ensevelissait la liberté dans les fondemens de son édifice. C’est ainsi du moins que je m’explique la conduite de M. Guizot en 1814, quand ses talens lui valurent la confiance de l’abbé de Montesquiou, alors ministre de l’intérieur. Dans ce temps-là, M. Royer-Collard, chargé de la direction de la librairie, partageait avec M. Guizot la confiance de M. de Montesquiou, et sans doute cet esprit prépondérant dicta souvent ses opinions au faible et ignorant ministre.

Toutefois l’administration publique était dans les mains de M. Guizot, de M. Guizot tout seul, qui exerçait la plus grande influence sur le choix des préfets et des fonctionnaires ; et l’on sait quels fonctionnaires et quels préfets furent nommés à cette époque. Sans doute M. Royer-Collard, homme mûr, blanchi dans les affaires secrètes, vieilli dans les missions difficiles de l’émigration, devait dominer de tout l’ascendant de son nom, et de sa grande et mystérieuse réputation, l’esprit d’un jeune homme inexpérimenté tel que devait l’être alors M. Guizot, mais non pas assez pour l’entraîner à écrire contre sa conviction ce cruel exposé de motifs de la loi contre la liberté de la presse que vint présenter aux chambres l’abbé de Montesquiou. Je ne prétends pas que la loi de la presse de 1814 ait été l’ouvrage unique de M. Guizot ; mais on sait qu’il l’avait élaborée avec M. Royer-Collard, et il importe peu de savoir lequel des deux imagina d’arrêter la publication libre de tout écrit au-dessous de trente feuilles, lequel donna aux censeurs le droit d’empêcher l’impression d’un ouvrage jugé dangereux à huis-clos, par eux-mêmes, de l’anéantir sans appel, sans l’intervention des juges que donne la loi à tous les coupables. Que M. Guizot ou que M. Royer-Collard ait été plus ou moins inventif, plus ou moins ingénieux dans cette affaire, toujours est-il que le premier acte politique de M. Guizot a été de lever une main cruelle sur la charte qui venait à peine d’être promulguée, que ce fut de sa plume que tombèrent les argumens captieux que l’abbé de Montesquiou vint