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sa femme et ses deux nièces, dont l’une, plus tard, épousa, à son tour, M. Guizot. D’un côté, Mme Guizot et ses nièces découpaient, refaisaient et annotaient la traduction de Shakspeare de Letourneur ; de l’autre, M. Guizot préparait ses recherches sur l’histoire de France ; plus loin quelques jeunes gens, élèves dociles du maître, fouillaient à coups de lexique dans le latin barbare d’Orderic-Vital ; d’autres traduisaient les mémoires de Clarendon, l’Eikon-Basilikê du roi Charles Ier et élevaient péniblement, pierre à pierre, le grand édifice de la collection des Mémoires de la révolution anglaise, décorée à son fronton de la signature de M. Guizot. Cette association de travaux était toujours dirigée par la pensée de M. Guizot, qui, indépendamment de ces grandes collections, produisait seul ses remarquables écrits sur l’histoire et l’état des affaires de la France. Elle exerça une heureuse influence sur la direction générale des lettres, et permit à M. Guizot de vivre avec aisance de la vie la plus honorable, en même temps qu’elle l’éleva à une haute réputation.

J’ai parlé à dessein de la vie littéraire de M. Guizot, avant que de parler de son existence politique. Il me resterait à le suivre dans la société de la restauration où l’introduisit M. Royer-Collard, et où n’avaient pas encore germé ces idées de liberté modérée qu’elle inscrivit plus tard sur sa bannière. Il faudrait encore le montrer protestant et calviniste au cœur même du catholicisme ; genevois au milieu des coteries de Paris ; dur, sombre et tourmenté par ses passions parmi les hommes les plus insoucians et les moins passionnés du monde ; un peu insociable, et sachant cependant se former un cercle ; naturalisant dans les salons ce ton dogmatique du professorat que Mme de Staël elle-même n’avait pu y faire supporter ; reformant l’agrégation qui s’était dispersée après elle, y établissant sa domination, et y maintenant si bien l’ordre et la discipline, qu’elle ne l’abandonna jamais, ne lui demanda jamais compte de ses actes souvent contradictoires, le suivit aveuglément au combat pour et contre la liberté, et, marchant docilement sur ses pas, arriva avec lui, par des voies détournées, au pouvoir où elle l’entoure encore, et partage ses jouissances ainsi que ses soucis. Mais ce serait pour moi une tâche impossible à accomplir. Il faudrait soulever trop de voiles et se jeter dans l’étude et l’examen d’une