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monie avec ce qu’il y avait tout à la fois dans cette scène d’éclatant et de lugubre.

À midi, la frégate, se trouvant à l’entrée du port, fut tout aussitôt entourée d’une foule de curieux, accourus sur des embarcations, et sollicitant la permission de monter à bord. La crainte que leurs visites, et l’encombrement qui devait s’ensuivre, n’importunassent les blessés, la fit refuser. Le comte Duchaffaut, commandant de la marine ; le comte d’Orvilliers, commandant les flottes combinées ; M. Gaze de la Bove, intendant de la province, furent seuls admis. La même exception s’étendit ensuite à quelques personnes de la cour, que le désir de jouir du beau spectacle des flottes réunies avait attirées à Brest : c’étaient M. le duc de Fitz-James, Mme la princesse d’Hénin, Mme la duchesse de Lauzun. Toutefois au moment de monter à bord, il s’en fallut de peu que ces deux dames n’y renonçassent à la vue des larges taches de sang, des blessés tout sanglans, des débris humains qui couvraient encore le pont, elles demeurèrent indécises, troublées, ne sachant trop que faire : le cœur leur manquait pour aller plus loin. Mais les respectueuses invitations des marins, le désir de visiter ce vaisseau devenu célèbre ainsi que son capitaine, triomphèrent bientôt de cette première impression ; elles montèrent à bord. Leur visite s’étendit en détail du pont jusqu’à la cale. Elles se firent rendre minutieusement compte de tous les évènemens du combat, prodiguant aux blessés des éloges, des secours, des consolations. Un mot d’un de ces derniers mérite d’être rapporté : après plusieurs autres questions, Mme la duchesse de Lauzun lui dit : — « Mais on prétend que le pavillon du Quebec était cloué à son grand mat, qu’en conséquence il ne pouvait l’amener ; cela est-il vrai ? » — « Je l’ignore, madame ; mais ce que je sais, c’est que le nôtre était cloué dans le cœur de notre capitaine. » La visite de ces dames, de ces officiers généraux de la marine, alors personnages importans et célèbres, parut faire à Du Couëdic un plaisir qu’il ne chercha point à dissimuler. Il se montrait au contraire tout joyeux des témoignages de la sympathique admiration que tous se plaisaient à lui témoigner. « Ah ! mesdames, répétait-il plusieurs fois, ah ! messieurs, que je me trouve heureux et fier du bon accueil que vous voulez bien faire à ma pauvre frégate ! »