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alors d’une expérience consommée. Des combats, des désastres, des naufrages, avaient mis à plus d’une épreuve la fermeté de son ame ; il avait même eu à lutter contre la peste, car il se trouvait dans l’escadre de Dubois de Lamothe qui fut fort maltraitée par ce fléau. Depuis le commencement de la guerre, Du Couëdic commandait la Surveillante. Il avait assisté à la bataille d’Ouessant. Dans une croisière après ce combat, il s’était emparé, malgré son opiniâtre résistance, d’un corsaire anglais, le Spit-Fire, dont l’artillerie consistait en vingt caronades de dix-huit ; moyen de destruction employé alors pour la première fois par les Anglais, et terrible en ce qu’il permet de faire avec peu de monde un feu meurtrier. Le chevalier Du Couëdic était doué d’un extérieur agréable, d’un caractère facile ; ses manières étaient prévenantes, sa conversation pleine de charmes. Comme George Farmer, lui aussi avait pu choisir ses matelots dans le grand nombre de ceux qui s’étaient volontairement présentés pour servir sous ses ordres ; son équipage en était devenu comme une famille. Le nom de chacun des membres de cette grande famille lui était connu ; il n’en était pas un seul à qui il ne put parler, dans ce rude langage celtique, si harmonieux pourtant aux oreilles bretonnes, de son village, de son vieux père, de sa jeune sœur, de sa belle fiancée. Les officiers dont il était l’ami, qui ne l’en honoraient pas moins, ne l’en respectaient pas moins comme chef. De ceux-ci, tous s’en remettaient à lui en pleine sécurité du soin de leurs intérêts et de leur fortune militaire. En ce moment même, il n’était bruit sur l’escadre que d’un trait qui venait de lui faire grand honneur aux yeux de toute la marine. À la fin de la campagne qui venait de s’achever, une maladie épidémique ayant fait de grands progrès sur la plupart des vaisseaux, il arriva que plusieurs d’entre eux éprouvèrent de grandes difficultés à manœuvrer ; le comte d’Orvilliers enjoignit aux commandans des frégates de donner une portion de leurs équipages aux vaisseaux les plus maltraités par la maladie. Aucun de ceux-ci n’hésita à se débarrasser de ses marins les plus mauvais ou les plus mal portans. Du Couëdic seul eut la générosité de choisir, pour s’en séparer, les cinquante matelots les meilleurs et les plus robustes de son équipage. Ces hommes venaient de lui être remplacés depuis peu de jours par des marins de nouvelle levée, no-