D’ailleurs, M. Thiers s’était rendu, à cheval, avec tout l’état-major de la
garnison, fort près du lieu du désordre ; s’il n’avait combattu, il avait du
moins pris l’attitude d’un homme qui va combattre, et personne, au conseil, n’entendait lui disputer le prix de son héroïsme. Ce prix, on nous
assure que c’était la liberté de la presse, la liberté individuelle, et quelques
autres vétilles dont, disait-il, la nation n’a plus la moindre envie. M. Persil
n’était pas homme à désapprouver les idées de M. Thiers. Il paraît que
M. Guizot, qu’une sombre conviction irrite aujourd’hui contre les libertés
populaires, appuyait aussi ces propositions. M. de Rigny ne s’y opposait
guère, comme on le pense bien, et M. Humann ne savait trop qu’en dire,
quand le maréchal Soult, en qui le goût du pouvoir absolu est dominé
par un penchant un peu plus positif, fît remarquer à ses collègues qu’ils
se livraient à des passions d’enfans. Le vieux guerrier parla avec autant
de prudence et de douceur qu’Homère en prête au sage Nestor dans le
conseil des princes. Il demanda à M. Persil si la loi des associations n’était
pas votée et exécutée dans tout le royaume, en dépit de quelques résistances qui venaient d’être vaincues, et il le pria de lui dire quel surcroît
de pouvoir et d’arbitraire il prétendrait obtenir d’une loi exceptionnelle
qui permettrait d’emprisonner indistinctement tous les citoyens ? Pour
M. Thiers, ne venait-il pas de retirer, par une simple ordonnance, le
brevet de l’imprimeur de la Tribune ? Ce journal n’était-il pas détruit et
bâillonné à jamais ? Quelle loi d’exception eût mieux fait, et qui empêcherait M. Thiers de suivre désormais l’exemple de M. Corbière et d’agir
successivement de la sorte envers les autres journaux ? Un ministère qui
dispose du droit de mise en état de siège, de la loi des associations, de
celle des crieurs, et de la peur des émeutes, n’avait-il pas de quoi garotter
et étouffer au besoin toute la nation ? La seule chose que pouvait encore
ambitionner ce ministère si fort, si bien soutenu, si grand et si honoré,
c’était une augmentation de fonds secrets et de crédits extraordinaires. Il
fallait donc profiter de cette affaire pour arracher à la chambre les millions
du budget de la guerre qu’elle refusait obstinément, la serrer en vainqueur et lui vendre, à beaux deniers comptans, la paix qu’on tenait dans
les mains. On trouva que le maréchal parlait d’or, et un coup-d’œil gracieux, venu d’en haut, lui fit comprendre que l’habileté suprême rendait
justice à celle qu’il venait de déployer. On sait le reste. Pour calmer les
classes inférieures et pour les empêcher de se révolter désormais sous prétexte de misère et de malaise, le ministère propose judicieusement d’augmenter le budget d’une vingtaine de millions. Cette fois c’est le budget
qu’on met en état de siège ; c’est contre les contribuables qu’on dirige les
lois d’exception. La chambre accordera les supplémens de crédit comme
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