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Louis xv. Cette fois nous venions de voir sortir d’une horloge une procession d’ours, les uns jouant de la clarinette, les autres du violon, celui-ci de la basse, celui-là de la cornemuse ; puis à leur suite, d’autres ours portant l’épée au côté, la carabine sur l’épaule, marchant gravement, bannière déployée, et caporaux en serre-file. Il y avait, on l’avouera, de quoi éveiller notre gaîté ; aussi étions-nous dans la joie de notre ame. Nos Bernois, habitués à ce spectacle, riaient de nous voir rire, et loin de s’en formaliser, paraissaient enchantés de notre bonne humeur. Enfin, dans un moment de répit, nous leur demandâmes à quoi tenait cette reproduction continuelle d’animaux qui, par leur espèce et par leur forme, n’avaient pas jusque-là passé pour des modèles de grâce ou de politesse, et si la ville avait quelque motif particulier de les affectionner autrement que pour leur peau et pour leur chair.

Ils nous répondirent que les ours étaient les patrons de la ville.

Je me rappelai alors qu’il y avait effectivement un saint Ours sur le calendrier suisse ; mais je l’avais toujours connu pour appartenir par sa forme à l’espèce des bipèdes, quoique par son nom il parût se rapprocher de celle des quadrupèdes : d’ailleurs il était le patron de Soleure et non de Berne. J’en fis poliment l’observation à nos deux guides.

Ils nous répondirent que c’était par le peu d’habitude qu’ils avaient de la langue française, qu’ils nous avaient répondu que les ours étaient les patrons de la ville, qu’ils n’en étaient que les parrains ; mais que, quant à ce dernier titre, ils y avaient un droit incontestable, puisque c’étaient eux qui avaient donné leur nom à Berne. En effet, Bœr, qui en allemand se prononce Berr, veut dire ours. La plaisanterie, comme on le voit, devenait de plus en plus compliquée. Celui des deux qui parlait le mieux français, voyant que nous en désirions l’explication, nous offrit de nous la donner en nous conduisant à l’église. On devine qu’à l’affût comme je l’étais de traditions et de légendes, j’acceptai avec reconnaissance. Voici ce que nous raconta notre cicérone.

La cité de Berne fut fondée, en 1191, par Berthold v, duc de Zœringen. À peine fut-elle achevée, ceinte de murailles, et fermée de portes, qu’il s’occupa de chercher un nom pour la ville qu’il venait de bâtir, avec la même sollicitude qu’une mère en