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IMRESSIONS DE VOYAGES.

Au lieu de nous l’indiquer de la main, comme l’aurait fait un Parisien affairé, l’un des deux nous répondit en français largement accentué de tudesque : « Par ici ; » et, faisant doubler le pas à son camarade, il se mit à marcher devant nous.

Au bout de cinquante pas, nous nous arrêtâmes devant une de ces vieilles horloges compliquées, à l’ornement desquelles un mécanicien du quinzième siècle consacrait quelquefois toute sa vie… Notre guide sourit. — Voulez-vous attendre ? nous dit-il, huit heures vont sonner.

En effet, au même instant, le coq qui surmontait ce petit clocher battit des ailes, chanta trois fois avec sa voix automatique. À cet appel, les quatre évangélistes sortirent, chacun à son tour, de leur niche, et vinrent frapper chacun un quart d’heure sur une cloche avec le marteau qu’ils tenaient à la main ; puis, pendant que l’heure tintait, et en même temps que le premier coup se faisait entendre, une petite porte, placée au-dessous du cadran, s’ouvrit, et une procession étrange commença à défiler, tournant en demi-cercle autour de la base du monument, et rentra par une porte parallèle qui se ferma en même temps que la dernière heure sonnait, sur le dernier personnage qui terminait le cortège.

Nous avions déjà remarqué l’espèce de vénération que les Bernois professent pour les ours ; en entrant la veille au soir par la porte de Fribourg, nous avions vu se découper dans l’ombre les statues colossales de deux de ces animaux, placées comme le sont à l’entrée des Tuileries les chevaux domptés par des esclaves. Pendant les cinquante pas que nous avions faits pour arriver à l’horloge, nous avions laissé à notre gauche une fontaine surmontée d’un ours, portant une bannière à la main, couvert d’une armure de chevalier, et ayant à ses pieds un oursin vêtu en page, marchant sur ses pattes de derrière, et mangeant une grappe de raisin à l’aide de ses pattes de devant. Nous étions passés sur la place des Greniers, et nous avions remarqué, sur le fronton sculpté du monument, deux ours soutenant les armes de la ville, comme deux licornes un blason féodal ; de plus, l’un d’eux versait avec une corne d’abondance les trésors du commerce à un groupe de jeunes filles qui s’empressaient de les recueillir, tandis que l’autre tendait gracieusement, et en signe d’alliance, la patte à un guerrier vêtu en Romain du temps de