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MORALE DE BENTHAM.

Comment, en effet, ne pas comprendre un homme qui dit ouvertement : « Il n’y a pas de droit, il n’y a pas de justice, il n’y a pas de devoir. Jusqu’ici une langue fausse a traduit des idées fausses ; il n’y a qu’une idée fondamentalement vraie dont toutes les autres découlent, l’utilité ; il n’y a qu’un but, qui est lui-même le critérium de toutes les actions humaines, le bonheur ; l’action la plus vertueuse est l’action qui produit la plus forte somme de bonheur. » Et non-seulement ces principes sont posés, mais leur application est poursuivie avec une rigoureuse délicatesse dans toutes les ramifications de l’humaine activité.

Dans son insurrection contre la légalité civile, la procédure et la pénalité qui sont en vigueur en Europe, Bentham a été provoqué par le spectacle que l’Angleterre déroulait sous ses yeux, et sur ce point sa patrie a été sa cause immédiate.

Dans sa négation du droit même, du devoir et de la justice morale, Bentham a été suscité par la philosophie du XVIIIe siècle ; il a eu pour cause Helvétius, dont les écrits l’ont surtout frappé ; il s’est proposé de faire rentrer toutes les questions humaines dans celle de l’intérêt, du bonheur et de l’utilité ; et, comme Brutus, il a dit à la vertu : Tu n’es qu’un mot.

La critique philosophique n’accomplit qu’une moitié de sa tâche quand elle se borne à signaler les défauts et les ellipses d’un système ; elle doit montrer encore l’opportunité de ce système dans sa venue, la convenance de son originalité, la nécessité de ses affirmations dogmatiques, et la fonction qu’il était appelé à remplir dans le système du monde moral. Mainte fois les soutiens du spiritualisme ont démontré à Bentham et à ses partisans les oublis et les erreurs de la psychologie utilitaire ; il est inutile de recommencer cette démonstration effectuée ; nous aimons mieux assigner à Bentham son rôle et sa valeur dans l’économie générale de la philosophie moderne.

Quand le christianisme parut sur la terre, il s’adressa surtout à la crédibilité de l’humanité ; il demanda aux hommes de croire à sa parole, et, sans nier l’intelligence, il lui préféra la foi. Il serait inique de dire que le christianisme ait voulu opprimer la raison ; mais ses docteurs, saint Paul à leur tête, travaillèrent à la soumettre aux croyances enseignées ; ils lui donnèrent pour office le