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le politique ne pèsent quelquefois les choses humaines qu’à la valeur de leurs résultats, cette pente est parfois irrésistible, mais le moraliste doit relever la différence du mobile et la différence du résultat, et travailler à leur équation future.

Cependant les détails ingénieux de ce second volume et les analyses spirituelles qui s’y font voir sont quelquefois déparés par de puérils conseils et des recommandations fort vulgaires. Il nous semble que l’éditeur distingué de Bentham eut pu se montrer plus sévère dans l’exhibition de l’héritage de son maître : quelques sacrifices coûtent peu à de grandes richesses, et même en font ressortir l’éclat et l’opulence.

Bentham moraliste nous fait comprendre entièrement Bentham législateur : sans doute la lecture des Traités de législation civile et pénale nous avait offert dans sa réalité la pensée de Bentham ; nous l’avions vue étendue sans être complète, profonde sans aller toujours au fond ; nous l’avions admirée dans la poursuite des préjugés et des abus ; et nous lui désirions plus de conscience de l’histoire et plus d’intelligence de toutes les propriétés de la nature humaine. La Théorie des peines et des récompenses témoignait d’une rare sagacité dans l’assignation des châtimens aux délits : le Traité des preuves judiciaires nous semblait surtout le triomphe des plus folles qualités de Bentham, de son excellence dans ce qu’il appelle la logique judiciaire, dans la critique de tout ce qui constitue l’appareil externe du droit et de la législation ; la Tactique des assemblées législatives et le Traité des sophismes politiques prouvait à la fois son habileté à débrouiller le faisceau des malentendus et des méprises dans la manutention des affaires et des lois, et la difficulté qu’il éprouvait à entrer dans l’entente des hommes et de l’histoire ; le Traité d’organisation judiciaire complétait les Preuves, et la belle théorie du juge unique qui, par une singulière fortune, peut s’appuyer de l’exemple de Rome et de l’Angleterre, se faisait accepter de nous comme un grand et nécessaire corollaire de la procédure de ce novateur. Nous sentions à la fois les grandeurs et les imperfections de Bentham ; mais cependant, dans le partage de ses qualités, il y avait encore pour nous quelque chose de perplexe et de douteux. Aujourd’hui tout est clair ; et le moraliste a trahi tout-à-fait le législateur.