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MORALE DE BENTHAM.

Une fois entré dans les détours de cette justice, vous ne pouvez plus en sortir : avocat ou plaideur, juge ou membre du souverain, cette légalité vous enveloppe et vous mène. En vain Bacon, dans son ouvrage : Proposal for amending the laws of England, veut tenter un nouveau digeste du droit commun et de la loi statutaire ; en vain un de ses successeurs, Henri Brougham, a-t-il signalé les réformes les plus nécessaires (Present state of the law, the speech in the house of commons, on thursday, february, 7, 1828) ; en vain en a-t-il lui-même ébauché quelques-unes ; ces corrections partielles n’ont pas de prise sur un corps si vieux et si dur.

Mais un homme a pensé que, pour attaquer cette formidable place d’abus et de préjugés, il ne fallait pas y entrer, mais s’en tenir dehors ; il a pensé encore que, pour combattre cet assemblage de choses irréfléchies qui presque toujours confondaient l’antiquité avec la raison, il n’y avait qu’une arme puissante, la pensée, mais la pensée dans toute sa force et son audace, infinie dans son étendue, inexorable dans son analyse, subtile, immense, transparente, punissant l’erreur en lui jetant sur la face la lumière et la clarté, seule, se suffisant à elle-même dans les ressources de son abstraction, congédiant les secours de l’histoire, et marchant à la conquête de la vérité avec le cri de Médée : Moi, dis-je, et c’est assez.

De l’autre côté du détroit, pour vivre puissant et vraiment honoré, il faut être aux affaires. Le parlement, les communes ou la chambre des lords, les luttes de l’opposition et du ministère, voilà le seul mode d’existence dont un galant homme puisse s’accommoder en Angleterre. On étudie à Oxford ou à Cambridge, suivant les relations de sa maison ; on mêle à une éducation forte et classique le maniement des chevaux et des armes, la connaissance des lois et de l’histoire du pays ; on fait un tour sur le continent, on revient prendre une carrière et une femme, on choisit entre les whigs et les tories, on s’enrôle, on se donne, on est poussé aux affaires et aux honneurs : des deux côtés, le pacte est fidèlement gardé ; ni l’aristocratie, ni le peuple ne manquent à leurs représentans. Alors l’homme politique peut se développer avec ampleur et persévérance ; il est regardé, il est soutenu, il est discuté, il peut puiser une force toujours nouvelle aussi bien dans