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LEONE LEONI.

couais par les épaules et le faisais plier comme un jonc, bien qu’il fût plus grand que moi de toute la tête. Il comprit qu’il était à ma disposition, et il essaya de me dissuader.

— Mais, monsieur, si vous n’êtes pas fou, me dit-il, vous avez une raison pour vous battre avec moi. Que vous ai-je fait ?

— Il ne me plaît pas de vous le dire, répondis-je, et vous êtes un lâche de me demander la cause de ma vengeance, quand c’est vous qui devriez me demander raison.

— Eh ! de quoi ? reprit-il. Je ne vous ai jamais vu. Il ne fait pas assez clair pour que je puisse bien distinguer vos traits, mais je suis sûr que j’entends votre voix pour la première fois.

— Poltron ! vous ne sentez pas le besoin de vous venger d’un homme qui s’est moqué de vous, qui vous a fait donner un rendez-vous pour vous mystifier, et qui vous amène ici malgré vous pour vous provoquer ! On m’avait dit que vous étiez brave, faut-il vous frapper pour éveiller votre courage ?

— Vous êtes un insolent, dit-il, en se faisant violence.

— À la bonne heure, je vous demande raison de ce mot, et je vais vous donner raison sur l’heure de ce soufflet. — Je lui frappai légèrement la joue. Il fit un hurlement de rage et de terreur.

— Ne craignez rien, lui dis-je, en le tenant d’une main et en lui donnant de l’autre une épée ; défendez-vous. Je sais que vous êtes le premier tireur de l’Europe, je suis loin d’être de votre force. Il est vrai que je suis calme et que vous avez peur, cela rend la chance égale. — Sans lui donner le temps de répondre, je l’attaquai vigoureusement. Le misérable jeta son épée et se mit à fuir. Je le poursuivis, je l’atteignis, je le secouai avec fureur. Je le menaçai de le tirer dans la mer et de le noyer, s’il ne se défendait pas. Quand il vit qu’il lui était impossible de s’échapper, il prit l’épée et retrouva ce courage désespéré que donnent aux plus peureux l’amour de la vie et le danger inévitable. Mais soit que la faible clarté de la lanterne ne lui permît pas de bien mesurer ses coups, soit que la peur qu’il venait d’avoir lui eût ôté toute présence d’esprit, je trouvai ce terrible duelliste d’une faiblesse désespérante. J’avais tellement envie de ne pas le massacrer, que je le ménageai long-temps. Enfin, il se jeta sur mon épée en voulant faire une feinte, et il s’enferra jusqu’à la garde.