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LEONE LEONI.

bout des moindres cordages, et lançant des fusées de toutes parts dans les intervalles d’une musique délicieuse. Je montai à l’arrière de la gondole, une rame à la main. Je l’atteignis. Leoni était sur le bord, dans le même costume que la veille. Juliette était assise au milieu des musiciens ; elle avait aussi un costume magnifique, mais elle était abattue et pensive, et semblait ne pas s’occuper de lui. Cristofano ôta son chapeau et leva sa lanterne à la hauteur de son visage. Leoni le reconnut et sauta dans la gondole.

Aussitôt qu’il y fut entré, Cristofano lui dit que la Misana l’attendait dans une autre gondole, auprès du jardin public. — Eh ! pourquoi n’est-elle pas ici ? demanda-t-il. — Non so, répondit le gondolier d’un air d’indifférence, et il se remit à ramer. Je le secondais vigoureusement, et en peu d’instans nous eûmes dépassé le jardin public. Il y avait autour de nous une brume épaisse. Leoni se pencha plusieurs fois et demanda si nous n’étions pas bientôt arrivés. Nous glissions toujours rapidement sur la lagune tranquille ; la lune pâle et baignée dans la vapeur blanchissait l’atmosphère sans l’éclairer. Nous passâmes en contrebandiers la limite maritime qui ne se franchit point ordinairement sans une permission de la police, et nous ne nous arrêtâmes que sur la rive sablonneuse du Lido, assez loin pour ne pas risquer de rencontrer un être vivant.

— Coquins, s’écria notre prisonnier, où diable m’avez-vous conduit ? où sont les escaliers du jardin public ? où est la gondole de la Misana ? Ventredieu ! nous sommes dans le sable ! Vous vous êtes perdus dans la brume, butors que vous êtes, et vous me débarquez au hasard…

— Non, monsieur, lui dis-je en italien ; ayez la bonté de faire dix pas avec moi, et vous trouverez la personne que vous cherchez. Il me suivit, et aussitôt Cristofano, conformément à mes ordres, s’éloigna avec la gondole, et alla m’attendre dans la lagune sur l’autre rive de l’ile.

— T’arrêteras-tu, brigand ! me cria Leoni, quand nous eûmes marché sur la grève pendant quelques minutes. Veux-tu me faire geler ici ! Où est ta maîtresse ? où me mènes-tu ?

— Seigneur, lui répondis-je en me retournant et en tirant de