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Je la regardais avec orgueil marcher à mes côtés. On donne peu le bras aux femmes à Venise. On les soutient seulement par le coude en montant et en descendant les escaliers de marbre blanc qui à chaque pas se présentent pour traverser les canaux. Juliette avait tant de grâce et de souplesse dans tous ses mouvemens, que j’avais une joie puérile à la sentir s’appuyer à peine sur ma main pour franchir ces ponts. Tous les regards se fixaient sur elle, et les femmes, qui jamais ne regardent avec plaisir la beauté d’une autre femme, regardaient au moins avec intérêt l’élégance de ses vêtemens et de sa démarche qu’elles eussent voulu imiter. Je crois encore voir la toilette et le maintien de Juliette. Elle avait une robe de velours violet avec un boa et un petit manchon d’hermine. Son chapeau de satin blanc encadrait son visage toujours pâle, mais si parfaitement beau, que malgré sept ou huit années de fatigues et de chagrins mortels, tout le monde lui donnait dix-huit ans tout au plus. Elle était chaussée de bas de soie violets, si transparens qu’on voyait au travers sa peau blanche et mate comme de l’albâtre. Quand elle avait passé, et qu’on ne voyait plus sa figure, on suivait de l’œil ces petits pieds, si rares en Italie. J’étais heureux de la voir admirer ainsi, je le lui disais, et elle me souriait avec une douceur affectueuse. J’étais heureux !…

Un bateau pavoisé et plein de masques et de musiciens s’avança sur le canal de la Giudecca. Je proposai à Juliette de prendre une gondole, et d’en approcher pour voir les costumes. Elle y consentit. Plusieurs sociétés suivirent notre exemple, et bientôt nous nous trouvâmes engagés dans un groupe de gondoles et de barques qui accompagnaient avec nous le bateau pavoisé, et semblaient lui servir d’escorte.

Nous entendîmes dire aux gondoliers que cette troupe de masques était composée des jeunes gens les plus riches et les plus à la mode dans Venise. Ils étaient en effet d’une élégance extrême, leurs costumes étaient fort riches, et le bateau était orné de voiles de soie, de banderolles de gaze d’argent et de tapis d’Orient de la plus grande beauté. Leurs vêtemens étaient ceux des anciens Vénitiens, que Paul Veronese, par un heureux anachronisme, a reproduits dans plusieurs sujets de dévotion, entre autres dans le magnifique tableau des Noces, dont la république de Venise fit présent