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LEONE LEONI.

bras ouverts pour le recevoir, et m’étreignant avec passion, il me renversa sur mon lit. Mais au même instant, un sentiment de méfiance qui me fut envoyé par la protection du ciel ou par la délicatesse de mon instinct, me fit passer la main sur le visage de celui qui m’embrassait. Leoni avait laissé croître sa barbe et ses moustaches depuis qu’il était malade ; je trouvai un visage lisse et uni. Je fis un cri et le repoussai violemment.

— Qu’as-tu donc ? me dit la voix de Leoni.

— Est-ce que tu as coupé ta barbe ? lui dis-je.

— Tu le vois bien, me répondit-il.

Mais alors je m’aperçus que la voix parlait à mon oreille, en même temps qu’une autre bouche se collait à la mienne. Je me dégageai avec la force que donnent la colère et le désespoir, et m’enfuyant au bout de la chambre, je relevai précipitamment la lampe, que j’avais couverte et non éteinte. Je vis lord Edwards assis sur le bord du lit, stupide et déconcerté (je crois qu’il était ivre), et Leoni, qui venait à moi d’un air égaré. — Misérable ! m’écriai-je.

— Juliette, me dit-il avec des yeux hagards et une voix étouffée, cédez si vous m’aimez. Il s’agit pour moi de sortir de la misère où vous voyez que je me consume. Il s’agit de ma vie et de ma raison, vous le savez bien. Mon salut sera le prix de votre dévouement, et quant à vous, vous serez désormais riche et heureuse avec un homme qui vous aime depuis long-temps et à qui rien ne coûte pour vous obtenir. Consens-y, Juliette, ajouta-t-il à voix basse, ou je te poignarde quand il sera hors de la chambre. —

La frayeur m’ôta le jugement ; je m’élançai par la fenêtre au risque de me tuer. Des soldats qui passaient me relevèrent ; on me rapporta évanouie dans la maison. Quand je revins à moi, Leoni et ses complices l’avaient quittée. Ils avaient déclaré que je m’étais précipitée par la fenêtre dans un accès de fièvre cérébrale, tandis qu’ils étaient allés dans une autre chambre pour me chercher des secours. Ils avaient feint beaucoup de consternation. Leoni était resté jusqu’à ce que le chirurgien qui me soigna eût déclaré que je n’avais aucune fracture. Alors Leoni était sorti en disant qu’il allait rentrer, et depuis deux jours il n’avait pas reparu. Il ne revint pas, et je ne le revis jamais.