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LEONE LEONI.

me reprochait d’avoir sottement payé ses dettes, et de ne pas m’être sauvé avec lui en emportant mon argent, j’étais forcée, pour l’apaiser, de lui prouver qu’il m’eût été impossible de le tirer de prison en commettant cette friponnerie. Il se mettait à la fenêtre et maudissait avec d’horribles juremens les gens riches qui passaient dans leurs équipages. Il me montrait ses vêtemens usés, et me disait avec un accent impossible à rendre : « Tu ne peux donc pas m’en faire faire d’autres ? Tu ne veux donc pas ? » Il finit par me répéter si souvent, que je pouvais le tirer de cette détresse, et que j’avais l’égoïsme et la cruauté de l’y laisser, que je le crus fou, et que je n’essayai plus de lui faire entendre raison. Je gardais le silence chaque fois qu’il y revenait, et je lui cachais mes larmes qui ne servaient qu’à l’irriter. Il crut que je comprenais ses abominables suggestions, et traita mon silence d’indifférence féroce et d’obstination imbécile. Plusieurs fois il me frappa violemment et m’eût tuée si on ne fût venu à mon secours. Il est vrai que quand ces accès étaient passés, il se jetait à mes pieds, et me demandait pardon avec des larmes. Mais j’évitais autant que possible ces scènes de réconciliation, car l’attendrissement causait une nouvelle secousse à ses nerfs et provoquait le retour de la crise. Cette irritabilité cessa enfin et fit place à une sorte de désespoir morne et stupide plus affreux encore. Il me regardait d’un air sombre, et semblait nourrir contre moi une haine cachée et des projets de vengeance. Quelquefois, en m’éveillant au milieu de la nuit, je le voyais debout auprès de mon lit, avec sa figure sinistre, je croyais qu’il voulait me tuer, et je poussais des cris de terreur. Mais il haussait les épaules et retournait à son lit avec un rire hébété.

Malgré tout cela, je l’aimais encore, non plus tel qu’il était, mais à cause de ce qu’il avait été et de ce qu’il pouvait redevenir. Il y avait des momens où j’espérais qu’une heureuse révolution s’opérait en lui, et qu’il sortirait de cette crise renouvelé et corrigé de tous ses mauvais penchans. Il semblait ne plus songer à les satisfaire, et n’exprimait plus ni regrets ni désirs de quoi que ce soit. Je ne pouvais imaginer le sujet des longues méditations où il semblait plongé. La plupart du temps, ses yeux étaient fixés sur moi avec une expression si étrange, que j’avais peur de lui. Je n’osais lui parler, mais je lui demandais grâce par des regards supplians.