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LEONE LEONI.

produire les pièces de sa vengeance. Leoni fut aussitôt dépossédé, condamné à représenter tout ce qu’il avait mangé de la succession, c’est-à-dire les trois quarts. Incapable de s’acquitter, il essaya vainement de fuir. Il fut mis en prison, et c’est de là qu’il m’écrivait, non pas tous les détails que je viens de vous dire, et que j’ai sus depuis, mais en peu de mots l’horreur de sa situation. Si je ne venais à son secours, il pourrait languir toute sa vie dans la captivité la plus affreuse, car il n’avait plus le moyen de se procurer le bien-être dont nous avions pu nous entourer lors de notre première réclusion. Ses amis l’abandonnaient et se réjouissaient peut-être d’être débarrassés de lui. Il était absolument sans ressources, dans une espèce de cachot humide où la fièvre le dévorait déjà. On avait vendu ses bijoux, et jusqu’à ses hardes ; il avait à peine de quoi se préserver du froid.

Je partis aussitôt. Comme je n’avais jamais eu l’intention de me fixer à Bruxelles, et que la paresse de la douleur m’y avait seule enchaînée depuis une demi-année, j’avais converti à peu près tout mon héritage en argent comptant ; j’avais formé souvent le projet de l’employer à fonder un hôpital pour les filles repenties, et à m’y faire religieuse. D’autres fois j’avais songé à placer cet argent sur la banque de France et à en faire pour Leoni une rente inaliénable qui le préservât à jamais du besoin et des bassesses. Je n’aurais gardé pour moi qu’une modique pension viagère, et j’aurais été m’ensevelir seule dans la vallée suisse, où le souvenir de mon bonheur m’aurait aidé à supporter l’horreur de la solitude. Lorsque j’appris le nouveau malheur où Leoni était tombé, je sentis mon amour et ma sollicitude pour lui se réveiller plus vifs que jamais. Je fis passer toute ma fortune à un banquier de Milan. Je n’en réservais qu’un capital suffisant pour doubler la pension que mon père avait léguée à ma tante. Ce capital fut, à sa grande satisfaction, la maison que nous habitions et où elle avait passé la moitié de sa vie. Je lui en abandonnai la possession, et je partis pour rejoindre Leoni. Elle ne me demanda pas où j’allais ; elle le savait trop bien. Elle n’essaya point de me retenir. Elle ne me remercia point ; elle me pressa la main. Mais, en me retournant, je vis couler lentement, sur sa joue ridée, la première larme que je lui eusse jamais vu répandre.