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— Tais-toi, lui dis-je, c’est à présent que je rougis et que je souffre. Tant que cette femme était là et que je lui sacrifiais mon amour et ma fierté, je me consolais en sentant que j’avais de l’affection pour elle, et que je m’immolais pour elle et pour toi. À présent je ne vois plus que ce qu’il y avait de bas et d’odieux dans ma situation. Comme tout le monde doit nous mépriser !

— Tu te trompes bien, ma pauvre enfant, dit Leoni, tout le monde nous salue et nous honore parce que nous sommes riches.

Mais Leoni ne jouit pas long-temps de son triomphe. Les cohéritiers, arrivés de Rome, furieux contre nous, ayant appris les détails de cette mort si prompte, nous accusèrent de l’avoir hâtée par le poison, et demandèrent qu’on déterrât le corps pour s’en assurer. On procéda à cette opération, et l’on reconnut au premier coup d’œil les traces d’un poison violent. — Nous sommes perdus, me dit Leoni en entrant dans ma chambre ; Ildegonda est morte empoisonnée, et l’on nous accuse. Qui a fait cette abomination, il ne faut pas le demander ? C’est Satan sous la figure de Lorenzo. Voilà comme il nous sert ; il est en sûreté, et nous sommes entre les mains de la justice, te sens-tu le courage de sauter par la fenêtre ?

— Non, lui dis-je, je suis innocente, je ne crains rien ; si vous êtes coupable, fuyez.

— Je ne suis pas coupable, Juliette, dit-il en me serrant le bras avec violence, ne m’accusez pas quand je ne m’accuse pas moi-même. Vous savez qu’ordinairement je ne m’épargne pas.

Nous fûmes arrêtés et jetés en prison. On instruisit contre nous un procès criminel, mais il fut moins long et moins grave qu’on ne s’y attendait ; notre innocence nous sauva. En présence d’une si horrible accusation, je retrouvai toute la force que donne une conscience pure. Ma jeunesse et mon air de sincérité me gagnèrent l’esprit des juges au premier abord. Je fus promptement acquittée. L’honneur et la vie de Leoni furent un peu plus long-temps en suspens. Mais il était impossible, malgré les apparences, de trouver une preuve contre lui, car il n’était pas coupable ; il avait horreur de ce crime, son visage et ses réponses le disaient assez. Il sortit pur de cette accusation. Tous les laquais furent soupçonnés ; personne ne songea au marquis. Il semblait n’avoir aucun intérêt à cette mort, et il avait quitté Milan sans que personne remarquât la