Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 2.djvu/289

Cette page a été validée par deux contributeurs.
283
LEONE LEONI.

moment de franchir la porte, je ne sais quelle force magnétique m’arrêta et me força de me retourner. Je vis le marquis s’approcher de la malade comme pour la secourir ; mais sa figure me sembla si odieuse, celle de Leoni si pâle, que la peur me prit de laisser cette mourante seule avec eux. Je ne sais quelles idées vagues me passèrent par la tête ; je me rapprochai du lit vivement, et, regardant Leoni avec terreur, je lui dis : Prends garde, prends garde !… — À quoi ? me répondit-il d’un air étonné. — Le fait est que je ne le savais pas moi-même, et que j’eus honte de l’espèce de folie que je venais de montrer. L’air ironique du marquis acheva de me déconcerter. Je sortis et revins un instant après avec les femmes et le médecin. Celui-ci trouva la princesse en proie à une affreuse crispation de nerfs, et dit qu’il faudrait tâcher de lui faire avaler tout de suite une cuillerée de la potion calmante. On essaya en vain de lui desserrer les dents. — Que la signora s’en charge, dit une des femmes, en me désignant ; la princesse n’accepte rien que de sa main et ne refuse jamais ce qui vient d’elle. — J’essayai en effet, et la mourante céda doucement ; par un reste d’habitude, elle me pressa faiblement la main en me rendant la cuiller ; puis elle étendit violemment les bras, se leva comme si elle allait s’élancer au milieu de la chambre, et retomba raide morte sur son fauteuil.

Cette mort si soudaine me fit une impression horrible, je m’évanouis, et l’on m’emporta. Je fus malade quelques jours, et quand je revins à la vie, Leoni m’apprit que j’étais désormais chez moi ; que le testament avait été ouvert et trouvé inattaquable de tous points ; que nous étions à la tête d’une belle fortune et maîtres d’un palais magnifique. — C’est à toi que je dois tout cela, Juliette, me dit-il, et de plus je te dois la douceur de pouvoir songer sans honte et sans remords aux derniers momens de notre amie. Ta sensibilité, ta bonté angélique, les ont entourés de soins et en ont adouci la tristesse. Elle est morte dans tes bras cette rivale qu’une autre que toi eût étranglée ! et tu l’as pleurée comme si elle eût été ta sœur. Tu es bonne, trop bonne, trop bonne ! Maintenant, jouis du fruit de ton courage ; vois comme je suis heureux d’être riche et de pouvoir t’entourer de nouveau de tout le bien-être dont tu as besoin.