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LEONE LEONI.

regardais d’un air stupéfait. Je m’étonnais de le trouver encore beau, encore aimable, de sentir toujours auprès de lui la même émotion, le même désir de ses caresses, la même reconnaissance pour son amour. Son abjection ne laissait aucune trace sur son noble front, et quand ses grands yeux noirs dardaient leur flamme sur les miens, j’étais éblouie, enivrée comme autrefois ; toutes ses souillures disparaissaient, et jusqu’aux taches du sang d’Henryet, tout était effacé. J’oubliai tout pour m’attacher à lui par des promesses aveugles, par des sermens et des étreintes insensées. Alors, en effet, je vis son amour se rallumer ou plutôt se renouveler, comme il me l’avait annoncé. Il abandonna à peu près la princesse Zagarolo et passa tout le temps de ma convalescence à mes pieds, avec les mêmes tendresses, les mêmes soins et les mêmes délicatesses d’affection qui m’avaient rendue si heureuse en Suisse ; je puis même dire que ces marques de tendresse furent plus vives et me donnèrent plus d’orgueil et de joie, que ce fut le temps le plus heureux de ma vie, et que jamais Leoni ne me fut plus cher. J’étais convaincue de tout ce qu’il m’avait dit, je ne pouvais plus d’ailleurs craindre qu’il s’attachât à moi par intérêt, je n’avais plus rien au monde à lui donner, et j’étais désormais à sa charge et soumise aux chances de sa fortune. Enfin je sentais une sorte d’orgueil à ne pas rester au-dessous de ce qu’il attendait de ma générosité, et sa reconnaissance me semblait plus grande que mes sacrifices.

Un soir il rentra tout agité, et, me pressant mille fois sur son cœur : — Ma Juliette, dit-il, ma sœur, ma femme, mon ange, il faut que tu sois bonne et indulgente comme Dieu, il faut me donner une nouvelle preuve de ta douceur adorable et de ton héroïsme. Il faut que tu viennes demeurer avec moi chez la princesse Zagarolo.

Je reculai confondue de surprise, et comme je sentis qu’il n’était plus en mon pouvoir de rien refuser, je me mis à pâlir et à trembler comme un condamné en présence du supplice. — Écoute, me dit-il ; la princesse est horriblement mal. Je l’ai négligée à cause de toi ; elle a pris tant de chagrin, que sa maladie s’est aggravée considérablement, et que les médecins ne lui donnent pas plus d’un mois à vivre. Puisque tu sais tout… je puis te parler