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LEONE LEONI.

épreuves n’éteignaient point le feu sacré. — Ma conduite est vile, me dit-il, mais mon cœur est toujours noble ; il saigne toujours de ses torts ; il a conservé aussi énergique, aussi pur que dans sa première jeunesse, le sentiment du juste et de l’injuste, l’horreur du mal qu’il commet, l’enthousiasme du beau qu’il contemple. Ta patience, tes vertus, ta bonté angélique, ta miséricorde inépuisable comme celle de Dieu, ne peuvent s’exercer en faveur d’un être qui les comprenne mieux et qui les admire davantage. Un homme de mœurs régulières et de conscience délicate les trouverait plus naturelles et les apprécierait moins ; avec cet homme-là, d’ailleurs, tu ne serais qu’une honnête femme ; avec un homme tel que moi, tu es une femme sublime, et la dette de reconnaissance qui s’amasse dans mon cœur est immense, comme tes souffrances et tes sacrifices. Va, c’est quelque chose que d’être aimée et que d’avoir droit à une passion immense ; sur quel autre auras-tu jamais ce droit comme sur moi ? pour qui recommenceras-tu les tourmens et le désespoir que tu as subis ? Crois-tu qu’il y ait autre chose dans la vie que l’amour ? Pour moi, je ne le crois pas, et crois-tu que ce soit chose facile que de l’inspirer et de le ressentir ? Des milliers d’hommes meurent incomplets sans avoir connu d’autre amour que celui des bêtes, et souvent un cœur capable de le ressentir cherche en vain où le placer et sort vierge de tous les embrassemens terrestres, pour l’aller trouver peut-être dans les cieux. Ah ! quand Dieu nous l’accorde sur la terre, ce sentiment profond, violent, ineffable, il ne faut plus, Juliette, désirer ni espérer le paradis ; car le paradis, c’est la fusion de deux ames dans un baiser d’amour ; et qu’importe, quand nous l’avons trouvé ici-bas, que ce soit dans les bras d’un saint ou d’un damné ? qu’il soit maudit ou adoré parmi les hommes, celui que tu aimes, que t’importe, pourvu qu’il te le rende ? Est-ce moi que tu aimes, ou est-ce le bruit qui se fait autour de moi ? Qu’as-tu aimé en moi dès le commencement ? est-ce l’éclat qui m’environnait ? Si tu me hais aujourd’hui, il faudra que je doute de ton amour passé ; il faudra qu’au lieu de cet ange, au lieu de cette victime dévouée dont le sang répandu pour moi coule incessamment goutte à goutte sur mes lèvres, je ne voie plus en toi qu’une pauvre fille crédule et faible qui m’a aimé par vanité et qui m’abandonne par égoïsme. Juliette,