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LEONE LEONI.

— Il m’est impossible de songer à autre chose qu’à ce sang, il me semble que j’en vois un lac autour de moi.

— Tu as les nerfs trop délicats, Leoni. Tu n’es bon à rien.

— Canaille ! dit Leoni d’un ton de haine et de mépris, sans moi tu étais mort ; tu reculais lâchement, et tu dois être frappé par derrière. Si je ne t’avais vu perdu, et si ta perte n’eût entraîné la mienne, jamais je n’aurais touché à cet homme à pareille heure et en pareil lieu. Mais ta féroce obstination m’a forcé à être ton complice. Il ne me manquait plus que de commettre un assassinat pour être digne de ta société !

— Ne fais pas le modeste, reprit le marquis ; quand tu as vu qu’il se défendait, tu es devenu un tigre.

— Ah oui ! cela me réjouissait le cœur de le voir mourir en se défendant, car enfin je l’ai tué loyalement.

— Très-loyalement ; il avait remis la partie au lendemain, et comme tu étais pressé d’en finir, tu l’as tué tout de suite.

— À qui la faute, traître ? Pourquoi t’es-tu jeté sur lui au moment où nous nous séparions avec la parole l’un de l’autre ? Pourquoi t’es-tu enfui en voyant qu’il était armé, et m’as-tu forcé ainsi à te défendre ou à être dénoncé par lui demain pour l’avoir attiré de concert avec toi dans un guet-à-pens, afin de l’assassiner ? À l’heure qu’il est, j’ai mérité l’échafaud, et pourtant je ne suis point un meurtrier. Je me suis battu à armes égales, à chance égale, à courage égal.

— Oui, il s’est très bien défendu, dit le marquis, vous avez fait l’un et l’autre des prodiges de valeur. C’était une chose très belle à voir et vraiment homérique que ce duel au couteau. Mais je dois dire pourtant que, pour un Vénitien, tu manies cette arme misérablement.

— Il est vrai que ce n’est pas l’arme dont je suis habitué à me servir ; et à propos, je pense qu’il serait prudent de cacher ou d’anéantir celle-ci.

— Grande sottise ! mon ami. Il faut bien t’en garder ; tes laquais et tes amis savent tous que tu portes en tout temps cette arme sur toi ; si tu la faisais disparaître, ce serait un indice contre nous.

— C’est vrai. Mais la tienne ?