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et qu’il ne rendît ma conduite ridicule. J’étais las de cette sale aventure. Je n’y pensai plus et quittai Paris trois mois après. Vous savez quelle fut la première personne que mes yeux cherchèrent dans le bal de Delpech. J’étais encore amoureux de vous, et arrivé depuis une heure, j’ignorais que vous alliez vous marier. Je vous découvris au milieu de la foule, je m’approchai de vous, et je vis Leoni à vos côtés. Je crus faire un rêve, je crus qu’une ressemblance m’abusait. Je fis des questions, et je m’assurai que votre fiancé était le chevalier d’industrie qui m’avait volé trois ou quatre cents louis. Je n’espérai point le supplanter, je crois même que je ne le désirais pas. Succéder dans votre cœur à un pareil homme, essuyer peut-être sur vos joues la trace de ses baisers, était une pensée qui glaçait mon amour. Mais je jurai qu’une fille innocente et qu’une honnête famille ne seraient pas dupes d’un misérable. Vous savez que notre explication ne fut ni longue ni verbeuse ; mais votre fatale passion fit échouer l’effort que je faisais pour vous sauver. —

Henryet se tut. Je baissai la tête, j’étais accablée, il me semblait que je ne pourrais plus regarder personne en face. Henryet continua.

— Leoni se tira fort habilement d’affaire en enlevant sa fiancée sous mes yeux, c’est-à-dire les trois cent mille francs de diamans qu’elle portait sur elle. Il vous cacha vous et vos diamans je ne sais où. Au milieu des larmes répandues sur le sort de sa fille, votre père pleura un peu ses belles pierreries si bien montées. Un jour, il lui arriva de dire naïvement devant moi que ce qui lui faisait le plus de peine dans ce vol, c’est que les diamans seraient vendus à moitié prix à quelque juif, et que ces belles montures, si bien travaillées, seraient brisées et fondues par le receleur qui ne voudrait pas se compromettre. C’était bien la peine de faire un tel travail, disait-il en pleurant, c’était bien la peine d’avoir une fille et de tant l’aimer !

Il paraît que votre père eut raison, car avec le produit de son rapt, Leoni ne trouva moyen de briller à Venise que quatre mois. Le palais de ses pères avait été vendu, et maintenant il était à louer. Il le loua et rétablit, dit-on, son nom, sur la corniche de la cour intérieure, n’osant pas le mettre sur la porte principale.