Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 2.djvu/269

Cette page a été validée par deux contributeurs.
263
LEONE LEONI.

me supplia avec instance de ne pas le faire. Il essaya de me persuader que je me trompais. Je le priai de me conduire dans sa chambre avec le marquis. Là je m’expliquai en peu de mots très clairs, et le marquis, au lieu de se disculper, pâlit et s’évanouit. Je ne sais si cette scène fut jouée par lui et l’abbé, mais ils me conjurèrent avec tant de douleur, le marquis me marqua tant de honte et de remords, que j’eus la bonhomie de me laisser fléchir. J’exigeai seulement qu’il quittât la France avec Leoni sur-le-champ. Le marquis promit tout, mais je voulus moi-même faire la même injonction à son complice, je lui ordonnai de le faire monter. Il se fit long-temps attendre ; enfin il arriva, non pas humble et tremblant comme l’autre, mais frémissant de rage et serrant les poings. Il pensait peut-être m’intimider par son insolence ; je lui répondis que j’étais prêt à lui donner toutes les satisfactions qu’il voudrait, mais que je commencerais par l’accuser publiquement. J’offris en même temps au marquis la réparation de mon ami aux mêmes conditions. L’impudence de Leoni fut déconcertée. Ses compagnons lui firent sentir qu’il était perdu s’il résistait. Il prit son parti, non sans beaucoup de résistance et de fureur, et tous deux quittèrent la maison sans reparaître au salon ; le marquis partit le lendemain pour Gênes, Leoni pour Bruxelles. J’étais resté seul avec Zanini dans sa chambre, je lui fis comprendre les soupçons qu’il m’inspirait, et le dessein que j’avais de le dénoncer à la princesse. Comme je n’avais point de preuves certaines contre lui, il fut moins humble et moins suppliant que le marquis, mais je vis qu’il n’était pas moins effrayé. Il mit en œuvre toutes les ressources de son esprit pour conquérir ma bienveillance et ma discrétion. Je lui fis avouer pourtant qu’il connaissait jusqu’à un certain point les turpitudes de son élève, et je le forçai de me raconter son histoire. En ceci Zanini manqua de prudence : il aurait dû soutenir obstinément qu’il les ignorait ; mais la dureté avec laquelle je le menaçais de dévoiler les hôtes qu’il avait introduits, lui fit perdre la tête. Je le quittai avec la conviction qu’il était un drôle aussi lâche, mais plus circonspect que les deux autres. Je lui gardai le secret par prudence pour moi-même. Je craignais que l’ascendant qu’il avait sur la princesse X — ne l’emportât sur ma loyauté, qu’il n’eût l’habileté de me faire passer auprès d’elle pour un imposteur ou pour un fou.