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moitié de l’Europe avec son gouverneur. En cinq ans, il apprit, avec une incroyable facilité, la langue, les mœurs et la littérature des peuples qu’il traversa. La mort de son père le ramena à Venise avec son gouverneur. Ce gouverneur était l’abbé Zanini, que vous avez pu voir souvent chez vous cet hiver. Je ne sais si vous l’avez bien jugé ; c’est un homme d’une imagination vive, d’une finesse exquise, d’une instruction immense, mais d’une immoralité incroyable et d’une lâcheté certaine sous les dehors hypocrites de la tolérance et du bon sens. Il avait naturellement dépravé la conscience de son élève, et avait remplacé en lui les notions du juste et de l’injuste par une prétendue science de la vie qui consistait à faire toutes les folies amusantes, toutes les fautes profitables, toutes les bonnes et mauvaises actions qui pouvaient tenter le cœur humain. J’ai connu ce Zanini à Paris, et je me souviens de lui avoir entendu dire qu’il fallait savoir faire le mal pour savoir faire le bien, savoir jouir dans le vice pour savoir jouir dans la vertu. Cet homme, plus prudent, plus habile et plus froid que Leoni, lui est beaucoup supérieur dans sa science, et Leoni, emporté par ses passions ou dérouté par ses caprices, ne le suit que de loin et en faisant mille écarts qui doivent le perdre dans la société, et qui l’ont déjà perdu, puisqu’il est désormais à la discrétion de quelques complices cupides, et de quelques honnêtes gens dont il lassera la générosité. —

Un froid mortel glaçait mes membres tandis qu’Henryet parlait ainsi. Je fis un effort pour écouter le reste.

— À vingt ans, reprit Henryet, Leoni se trouva donc à la tête d’une fortune assez honorable, et entièrement maître de ses actions. Il était dans la plus facile position pour faire le bien ; mais il trouva son patrimoine au-dessous de son ambition, et en attendant qu’il élevât une fortune égale à ses désirs, sur je ne sais quels projets insensés ou coupables, il dévora en deux ans tout son héritage. Sa maison, qu’il fit décorer avec la richesse que vous avez vue, fut le rendez-vous de tous les jeunes gens dissipés et de toutes les femmes perdues de l’Italie. Beaucoup d’étrangers, amateurs de la vie élégante, y furent accueillis ; et c’est ainsi que Leoni, lié déjà par ses voyages avec beaucoup de gens comme il faut, établit