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Je ressemblais à un spectre sorti du pavé sépulcral pour voir encore une fois les derniers rayons du jour. Un homme qui me suivait depuis quelque temps, sans que j’y fisse grande attention, me parla, et je me retournai sans surprise, sans frayeur, avec l’apathie d’un mourant. Je reconnus Henryet.

Aussitôt le souvenir de ma patrie et de ma famille se réveilla en moi avec impétuosité. J’oubliai l’étrange conduite de ce jeune homme envers moi, la puissance terrible qu’il exerçait sur Leoni, son ancien amour si mal accueilli par moi, et la haine que j’avais ressentie contre lui depuis. Je ne songeai qu’à mon père et à ma mère, et lui tendant la main avec vivacité, je l’accablai de questions. Il ne se pressa pas de me répondre, quoiqu’il parût touché de mon émotion et de mon empressement.

— Êtes-vous seule ici ? me dit-il, et puis-je causer avec vous, sans vous exposer à aucun danger ?

— Je suis seule, personne ici ne me connaît, ni ne s’occupe de moi. Asseyons-nous sur ce banc de pierre, car je suis souffrante, et pour l’amour du ciel, parlez-moi de mes parens. Il y a une année tout entière que je n’ai entendu prononcer leur nom.

— Vos parens ! dit Henryet avec tristesse. Il y en a un qui ne vous pleure plus !

— Mon père est mort ! m’écriai-je en me levant. — Henryet ne répondit pas. Je retombai accablée sur le banc, et je dis à demi-voix : Mon Dieu, qui allez me réunir à lui, faites qu’il me pardonne !

— Votre mère, dit Henryet, a été long-temps malade. Elle a essayé ensuite de se distraire ; mais elle avait perdu sa beauté dans les larmes et n’a point trouvé de consolation dans le monde.

— Mon père mort ! dis-je en joignant mes faibles mains, ma mère vieille et triste ! — Et ma tante ?

— Votre tante essaie de consoler votre mère en lui prouvant que vous ne méritez pas ses regrets ; mais votre mère ne l’écoute pas, et chaque jour elle se flétrit dans l’isolement et l’ennui. — Et vous, madame ?

Henryet prononça ces derniers mots d’un ton froid, où perçait cependant la compassion sous le mépris.