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REVUE. – CHRONIQUE.

montagnes où chaque rue est un rempart, chaque étage un retranchement. Aussi les insurgés sont-ils là maîtres de tout le terrain, et le général Aymar a bien jugé la position en se gardant de les faire attaquer. Lyon est donc aujourd’hui divisée en deux villes, l’une au pouvoir des ouvriers, l’autre sous l’autorité régulière du préfet ; et une chose bizarre dans notre triste position, c’est qu’il y a impossibilité pour une partie de la ville comme pour l’autre de s’attaquer mutuellement. Si les ouvriers voulaient attaquer les ponts et venir encore dans la ville plate, ils seraient infailliblement repoussés, car ici l’artillerie peut jouer et l’armée se déployer ; et du côté de l’archevêché, l’armée ne peut faire un mouvement en avant, car elle s’engagerait dans les défilés dont je vous ai parlé, en éprouvant des pertes énormes. Nous avons donc deux gouvernemens, l’un auquel préside M. Gasparin, l’autre que domine je ne sais quel nouveau Spartacus qui surgira là pour faire ses conditions, s’il ne triomphe pas, car enfin cela ne peut durer ; et ce qu’espèrent les hommes sages, ceux-là surtout qui, comme moi, désirent le maintien de l’ordre actuel, c’est qu’une transaction loyalement exécutée vienne mettre un terme au sanglant chaos qui gronde sur nos têtes.

« Je viens d’en causer avec M. Gasparin, et c’est un malheur de le dire, je ne sais quels ordres reçoivent les fonctionnaires du gouvernement ; mais jamais il ne sort de leur bouche que ces paroles dominatrices : « Soumission absolue, point de conditions ! » On croit par là faire de la force et l’on n’aboutit qu’à prolonger les conflits déplorables ; n’est-ce pas assez de sang répandu ? faut-il pour le triomphe d’une idée ou d’un système s’égorger jusqu’au bout ? J’ai fait observer à M. Gasparin qu’il fallait attendre les ordres de Paris pour s’engager plus avant dans la lutte ; plus le préfet a eu de reproches à se faire dans le principe, en ne déployant pas assez de vigueur lors du jugement des mutuellistes, plus il veut aujourd’hui racheter son pardon par ses appareils de sévérité inflexible. Moi qui connais bien la position, je crois qu’il faut user avec les ouvriers de beaucoup de ménagemens ; ils peuvent, quand ils le voudront, dévaliser celles des maisons qui sont sous leur domination absolue, et par conséquent se maintenir long-temps dans la position qu’ils se sont faite. D’un autre côté, les ouvriers du Rhône, de St.-Étienne peuvent s’armer et accourir d’un moment à l’autre, et ces hommes hardis peuvent imprimer à la sédition un caractère tellement grave qu’elle compromette le gouvernement. Éclairez donc le pouvoir d’en haut pour qu’il arrête ses fougues de zèle qui sont aussi un désordre.

« Pardonnez-moi le peu de suite qui règne dans mes idées. Je ne souhaite pas que vous ayez jamais le triste spectacle que nous avons sous