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repos de mes vieux jours, je craindrais de prononcer vivant un mot qui pût blesser des infortunes ou même détruire des chimères. Mais quand je ne serai plus, mes sacrifices donneront à ma tombe le droit de dire la vérité. Mes devoirs seront changés ; l’intérêt de ma patrie l’emportera sur les engagemens de l’honneur dont je serai délié. Aux Bourbons appartient ma vie ; à mon pays appartient ma mort. Prophète, en quittant le monde, je trace mes prédictions sur mes heures tombantes ; feuilles séchées et légères que le souffle de l’éternité aura bientôt emportées.

« S’il était vrai que les hautes races des rois, refusant de s’éclairer, approchassent du terme de leur puissance, ne serait-il pas mieux, dans leur intérêt historique, que par une fin digne de leur grandeur, elles se retirassent dans la sainte nuit du passé avec les siècles ? Prolonger sa vie au-delà d’une éclatante illustration ne vaut rien ; le monde se lasse de vous et de votre bruit ; il vous en veut d’être toujours là pour l’entendre. Alexandre, César, Napoléon, ont disparu selon les règles de la gloire : pour mourir beau, il faut mourir jeune. Ne faites pas dire aux enfans du printemps : « Comment ! c’est là cette renommée, cette personne, cette race, à qui le monde battait des mains, dont on aurait payé un cheveu, un sourire, un regard, du sacrifice de la vie ! » Qu’il est triste de voir le vieux Louis xiv, étranger aux générations nouvelles, ne trouver plus auprès de lui, pour parler de son siècle, que le vieux duc de Villeroi ! Ce fut une dernière victoire du grand Condé en radotage, d’avoir, au bord de sa fosse, rencontré Bossuet : l’orateur ranima les eaux muettes de Chantilly ; avec l’enfance du vieillard, il repétrit son adolescence ; il rebrunit les cheveux sur le front du vainqueur de Rocroi, en disant, lui Bossuet, un immortel adieu à ses cheveux blancs. Hommes, qui aimez la gloire, soignez votre tombeau ; couchez-vous-y bien ; tachez d’y faire bonne figure, car vous y resterez ! »

Chateaubriand



Sainte-Beuve.