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REVUE DES DEUX MONDES.


iv.
Histoire de l’Adjudant. — Les enfans de Montreuil et le tailleur de pierres.


Vous saurez, mon lieutenant, que j’ai été élevé au village de Montreuil par M. le curé de Montreuil lui-même. Il m’avait fait apprendre quelques notes du plain-chant dans le plus heureux temps de ma vie, le temps où j’étais enfant-de-chœur, où j’avais de grosses joues fraîches et rebondies que tout le monde tapait en passant, une voix claire, des cheveux blonds poudrés, une blouse et des sabots. Je ne me regarde pas souvent, mais je m’imagine que je ne ressemble plus guère à cela. J’étais fait ainsi pourtant, et je ne pouvais me résoudre à quitter une sorte de clavecin aigre et discord que le vieux curé avait chez lui. Je l’accordais avec assez de justesse d’oreille, et le bon père, qui autrefois avait été renommé à Notre-Dame pour chanter et enseigner le faux-bourdon, me faisait apprendre un vieux solfège. Quand il était content, il me pinçait les joues à me les rendre bleues, et me disait : Tiens, Mathurin, tu n’es que le fils d’un paysan et d’une paysanne, mais si tu sais bien ton catéchisme et ton solfège, et que tu renonces à jouer avec le fusil rouillé de la maison, on pourra faire de toi un maître de musique. Va toujours. — Cela me donnait bon courage, et je frappais de tous mes poings sur les deux pauvres claviers dont les dièzes étaient presque tous muets.

Il y avait des heures où j’avais la permission de me promener et de courir, mais ma récréation la plus douce était d’aller m’asseoir au bout du parc de Montreuil et de manger mon pain avec les maçons et les ouvriers qui construisaient sur l’avenue de Versailles, à cent pas de la barrière, un petit pavillon de musique, par ordre de la reine.

C’était un lieu charmant que vous pourrez voir à droite de la route de Versailles, en arrivant. Tout à l’extrémité du parc de