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POÈTES FRANCAIS.

circule et joue au naturel ; elle fertilise dans le talent de M. de Chateaubriand des portions encore inconnues.

À Paris, le jeune officier fait connaissance avec des gens de lettres, et négocie, à force d’habileté et d’appui, l’insertion d’une idylle dans l’Almanach des Muses. Parmi ces figures de gens de lettres si vivement éclairées en quelques mots, on voit Parny, « poète et créole, à qui il ne fallait que le ciel de l’Inde, une fontaine, un palmier, une femme, et dont la paresse n’était interrompue que par ses plaisirs qui se changeaient en gloire. » On y voit Delille de Sales, le philosophe de la nature, « qui faisait en Allemagne ses remontes d’idées. » On y trouve La Harpe, arrivant chez une sœur de M. de Chateaubriand, avec trois gros volumes de ses œuvres sous ses petits bras. Flins y obtient une part moins belle que dans l’Essai, mais très satisfaisante encore. Flins a beau être mort de toute la mort d’une médiocrité spirituelle ; une goutte d’ambre est tombée sur son nom et le conserve ; il y a quelque chose de lui enchâssé dans la base de marbre de cette statue immortelle. Ginguené et Champfort sont les moins indulgemment traités. En relisant l’Essai, j’ai désiré un milieu plus juste entre la louange première et la sentence trop rigoureuse qui durera.

On est en 89 ; la politique gronde. Il y a un épisode développé sur les états de Bretagne, sur la constitution et les troubles de cette province : les lignes majestueuses de l’histoire apparaissent. Mirabeau, avec qui l’auteur a dîné plusieurs fois, et qu’il a souvent entendu, est peint de génie à génie. La vie confuse, remuée, enthousiaste, de ces années-là, s’anime devant nous. On suit les trois belles nièces de Gretry avec la foule dans les allées des Tuileries ; on reconnaît la belle Mme de Buffon à la porte d’un club, dans le phaéton du duc d’Orléans.

C’est en cette année pourtant que le jeune homme assez indiffèrent à la politique, dévoré de l’instinct des voyages, voulant visiter la scène naturelle de ce poème des Natchez qu’il médite déjà, rêvant aussi la découverte du passage polaire, part pour l’Amérique, muni des conseils et des instructions de M. de Malesherbes dont son frère aîné est le petit-gendre. Un autre jour peut-être, si nous n’en avions pas trop dit cette fois, nous l’y suivrions. On y verrait les types de Mina et de Céluta, les deux Floridiennes.