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truction. » On retrouve un sentiment tout semblable dans Atala pendant la tempête ; dans Velléda sur le rocher. Mais à quel propos ici ces désirs de mourir, ce cri égaré d’une félicité en apparence sans objet ? Quand j’entendais lire ces obscurs et murmurans passages, il me semblait sentir un parfum profond comme d’un oranger voilé.

Triste, dégoûté de tout, voyant sa sœur peu heureuse, sa mère peu consolante, craignant son père au point que, si au retour de ses courses sauvages il l’apercevait assis sur le perron, il se fût laissé tuer plutôt que de rentrer au château, le chevalier essaya en effet de mourir ; il s’enfonça dans un bois avec son fusil chargé de trois balles ; l’apparition d’un garde l’interrompit. Il fit une maladie mortelle. Guéri, il était à Saint-Malo, près de passer aux Grandes-Indes, quand on le rappela pour un brevet de sous-lieutenant au régiment de Navarre. Il quitte son père pour la dernière fois.

Ces Mémoires sont de temps en temps entrecoupés par des prologues qui marquent les dates et les situations contrastantes où l’auteur les composa. En 1821, M. de Chateaubriand, ambassadeur à Berlin, continue le récit de cette vie de jeunesse. Plus tard, c’est ambassadeur à Londres, qu’il décrira les misères de son émigration. Le premier voyage à Paris, en compagnie de Mlle Rose, marchande de modes, qui méprise fort son vis-à-vis silencieux ; l’entrevue avec le cousin Moreau, qui n’est pas le grand général, avec Mme de Châtenay, cette femme de douce accortise ; l’amour de garnison pour Lamartinière, la présentation à Versailles, la journée de la chasse et des carrosses, tous ces riens plus ou moins légers du monde extérieur sont emportés avec une verve de pur et facile esprit à laquelle le sérieux poète ne s’était jamais nulle part aussi excellemment livré. On a pu remarquer parfois dans les pages graves de M. de Chateaubriand quelques mots aigus qui font mine de sortir du ton, et qu’un goût scrupuleux voudrait rabattre. Ces mots ne sont le plus souvent que de l’esprit, de la verve comique et mordante, mais qui ne se présente pas en ces endroits à l’état direct et simple. C’est une veine refoulée qui engorge légèrement, pour ainsi dire, un style de plus profonde couleur. Mais dans les pages dont nous parlons, cette veine heureuse