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POÈTES FRANCAIS.

mais souvent équitable, des philosophes ou des personnages révolutionnaires ; il m’arrive à chaque page, en lisant l’Essai, d’être de l’avis du jeune homme contre l’auteur des notes que je trouve trop sévère et trop prompt à se condamner. Le scepticisme de l’Essai n’a rien de frivole ; c’est un désenchantement amer, une douleur de ne pas croire, c’est le souffle de cette bise sombre dont tout-à-l’heure il a été parlé. Le deuxième volume renferme un chapitre aux Infortunés, dans lequel, à travers les conseils et les règles de conduite que l’auteur essaie de déduire, on lit toute l’histoire de sa vie d’émigration et de sa noble pauvreté : « Je m’imagine, s’écrie-t-il, que les malheureux qui lisent ce chapitre le parcourent avec cette avidité inquiète, que j’ai souvent portée moi-même dans la lecture des moralistes, à l’article des misères humaines, croyant y trouver quelque soulagement. Je m’imagine encore que, trompés comme moi, ils me disent : Vous ne nous apprenez rien ; vous ne nous donnez aucun moyen d’adoucir nos peines ; au contraire, vous prouvez trop qu’il n’en existe point. Ô mes compagnons d’infortune ! votre reproche est juste ; je voudrais pouvoir sécher vos larmes, mais il vous faut implorer le secours d’une main plus puissante que celle des hommes. Cependant ne vous laissez point abattre ; on y trouve encore quelques douceurs parmi beaucoup de calamités. Essaierai-je de vous montrer le parti qu’on peut tirer de la condition la plus misérable ? peut-être en recueillerez-vous plus de profit que de toute l’enflure d’un discours stoïque. » Et suivent alors les conseils appropriés : fuir les jardins publics, le fracas, le grand jour ; le plus souvent même ne sortir que de nuit ; voir de loin le réverbère à la porte d’un hôtel, et se dire : Là, on ignore que je souffre ; mais ramenant ses regards sur quelque petit rayon tremblant dans une pauvre maison écartée du faubourg, se dire : Là, j’ai des frères. Voilà ce qu’on trouve, après tant d’autres pages révélatrices, dans l’Essai. Mais jusqu’ici cette œuvre de jeunesse était restée en dehors du grand monument poétique, religieux et politique de M. de Chateaubriand, et n’était pas comprise, pour ainsi dire, dans la même enceinte. Les notes que l’auteur y avait jointes, écrites en 1826, et dans un esprit de justification religieuse et monarchique, servaient à séparer l’Essai de ce qui a suivi plu-