Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 2.djvu/208

Cette page a été validée par deux contributeurs.
202
REVUE DES DEUX MONDES.

ne représentait la poésie de son pays ; à plus forte raison l’un et l’autre ne représentaient pas la poésie européenne. En 1824 Goëthe était encore de ce monde, et son nom était assez grand pour n’être pas oublié. Manzoni avait déjà doté l’Italie de quelques-uns de ses plus beaux poèmes, et son nom devait être compté pour quelque chose. En Angleterre, il y avait à côté de Byron des noms du premier ordre qui ne pâlissaient pas à côté de lui. Il y avait Wordsworth dont les Esquisses, écrites au bord du Rhin, ont inspiré le troisième chant du Pélerinage, et qui se place par son grand poème de l’Excursion entre Homère et Milton. Coleridge, Wilson, Scott, Robert Burnes, signifient bien aussi quelque chose dans l’histoire littéraire de la Grande-Bretagne. En France, à côté de Chateaubriand, il y avait Lamartine, Mme de Staël, Lamennais, Joseph de Maistre. Si le Génie du Christianisme renferme des pages admirables de description et de rêverie, certes les Méditations, Corinne, les Soirées de Saint-Pétersbourg et le traité de l’Indifférence doivent bien être comptés pour quelque chose.

Rayer l’Allemagne et l’Italie de la carte d’Europe, c’est une faute assez grave ; oublier Goëthe et Manzoni, ce n’est pas une omission vénielle ; dire que Chateaubriand représentait en 1824 l’espérance religieuse tandis que Byron représentait le doute et le désespoir, c’est un caprice de jeune homme qui peut fournir des périodes nombreuses et sonores, mais à coup sûr ce n’est pas une vue littéraire. En Angleterre, l’école des Lacs tout entière était chrétienne. Manzoni n’était pas moins religieux que Chateaubriand ; et Goëthe, on le sait, a suivi, dans tout le cours de sa carrière, une ligne impartiale et désintéressée qui se raillait du doute et se passait de l’espérance.

Je veux croire que M. Hugo aperçoit dès à présent quelques-unes des fautes que je viens de signaler, et qu’il ne donne pas ces trois morceaux comme des modèles achevés de style et de pensée. Je veux croire qu’il est de bonne foi lorsqu’il se raille, dans la première partie de sa préface, des essais littéraires de sa jeunesse. Je consens de bon cœur à le prendre au mot ; mais alors je m’explique difficilement pourquoi il n’a pas reproduit ses premiers essais avec une littéralité scrupuleuse. Ce dernier reproche est plus grave que les autres, et c’est à regret que je me vois forcé de l’adresser à