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LITTÉRATURE ET PHILOSOPHIE MÊLÉES.

de sa pensée ; il faut pénétrer avec lui dans les replis de la conscience humaine ; il faut épier, sous son regard, les angoisses du doute et du désespoir, afin de comprendre bien nettement comment cet esprit, si puissant et si impérieux dans les formes de son éloquence, s’est réfugié dans l’autorité. Tout cela, sans doute, ne peut se deviner ; les plus grands bonheurs du génie, si précoce qu’il soit, ne vont pas jusqu’à dispenser de l’étude. Il faut donc regretter que M. Hugo ait pris Lamennais comme un thème oratoire, sans se donner la peine d’analyser dans ses moindres parties l’admirable monument dont il avait inscrit le titre en tête de la page.

Pour Byron, on le comprend de reste, la difficulté n’était pas moins sérieuse. Il s’agissait d’un poète étranger dont le nom retentissait partout et dont les œuvres n’étaient familières ni à son pays ni au nôtre ; il s’agissait de mettre à sa place et à son rang un homme plus célèbre encore par les malheurs de sa vie que par la grandeur de ses œuvres. La tâche était vaste. M. Hugo l’a-t-il remplie ? Ce qu’il dit de Byron peut-il servir à nous initier aux secrets de ce génie prodigieux que l’Europe admire et connaît si mal ? Je ne le crois pas. Si l’on excepte quelques détails insignifians et vagues sur les troubles domestiques de l’illustre poète, je ne vois rien dans ces pages qui ne puisse convenir très bien à vingt autres poètes méconnus et calomniés par leur siècle. Il n’y a dans ce morceau, d’ailleurs très habilement écrit, qu’un sentiment dominant qui aurait pu trouver place ailleurs, celui de la fraternité mystérieuse qui unit entre eux les génies éminens malgré la distance des âges et des lieux. Il est bon sans doute que chacun ait la conscience et l’orgueil de son mérite, il est bon que les femmes et les poètes ne se laissent pas aller à une fausse modestie et qu’ils estiment selon leur valeur la beauté de leurs yeux et la profondeur de leurs inspirations ; mais à quoi bon parler de soi-même à propos de Byron ? À quoi bon saisir la mort d’un homme illustre pour proclamer la ferveur de ses sympathies et l’intimité fraternelle de ses affections ?

Je ne sais pas si M. Hugo a changé d’avis sur Byron depuis dix ans. Il est permis sans invraisemblance de l’espérer ; mais il y a plus que de l’étourderie à dire que la poésie européenne était représentée en 1824 par Byron et Chateaubriand. Ni l’un ni l’autre