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il a presque l’air d’envisager la langue comme une chose qui peut exister par elle-même. Ses réflexions, trop exclusivement littéraires, gagneraient beaucoup en s’aidant de l’histoire.

Et puis il se présente une critique plus grave. L’auteur ne semble pas connaître bien précisément quel était l’état de notre langue avant la renaissance. Je veux bien que la prise de Constantinople ait multiplié dans l’idiome français les vocables homériques et virgiliens ; je veux bien que le génie byzantin ait fait invasion dans nos lettres en traversant l’Italie ; à la bonne heure, ceci est dans le vrai. Mais avant François Ier les vocables virgiliens abondaient déjà dans notre idiome ; nous n’avions pas attendu l’érudition des Lascaris et des Politien pour emprunter à la littérature latine des étymologies sans nombre et la plupart des lois de notre syntaxe. Quant à la partie celtique, on sait qu’elle a joué, dans la formation de notre langue, un rôle très inférieur à celui des idiomes teutoniques. Si les philologues ne l’avaient pas démontré, l’histoire le prouverait surabondamment comme une nécessité, et la besogne du grammairien serait facile après celle de l’annaliste.

J’abandonne volontiers cette discussion minutieuse, mais pourtant indispensable, pour aborder un terrain où M. Hugo est plus à l’aise. Il n’y a ni honneur ni plaisir à éplucher ces détails d’érudition, à signaler des erreurs qu’une lecture de quelques semaines suffit à découvrir. Les livres enseignent ce qu’ils savent : il n’y a donc pas lieu à se glorifier d’y avoir appris quelque chose. J’arrive à la partie importante de la préface de M. Hugo, à sa théorie de la poésie dramatique. Si j’ai bien compris sa pensée, si j’ai pénétré le secret de ses intentions, il ne voit dans le drame tel qu’il le conçoit qu’une perpétuelle moralité, résultant d’une perpétuelle antithèse. Je ne crois pas qu’il ait raison, mais je lui sais bon gré d’avoir formulé nettement la poétique qu’il a réalisée depuis sept ans. Je le remercie de nous avoir expliqué dans une théorie précise ce qu’il nous avait montré au théâtre ; je le remercie de nous avoir dit pourquoi Cromwell, Charles-Quint, Richelieu, François Ier, Lucrèce Borgia et Marie Tudor ressemblent si peu à l’histoire dans les poèmes qu’il a baptisés de leurs noms. Jusqu’ici il y avait quelque chose d’embarrassant à concilier ces tragédies si peu historiques avec les théories publiées en 1827 par M. Hugo.