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REVUE DES DEUX MONDES.


iii.
Le Concert de famille.


Comme j’allais me retirer, je m’arrêtai, la main sur la clé de sa porte, écoutant avec étonnemenl une musique assez rapprochée et venue du château même. Entendue de la fenêtre, elle nous sembla formée de deux voix d’homme, d’une voix de femme, et d’un piano. C’était pour moi une douce surprise à cette heure de la nuit. Je proposai à mon camarade de l’aller écouter de plus près. Le petit pont-levis, parallèle au grand et destiné à laisser passer le gouverneur et les officiers pendant une partie de la nuit, était ouvert encore. Nous rentrâmes dans le fort, et en rôdant par les cours nous fûmes guidés par le son jusque sous des fenêtres ouvertes que je reconnus pour celles du bon vieil Adjudant d’artillerie.

Ces grandes fenêtres étaient au rez-de-chaussée, et nous arrêtant en face nous découvrîmes jusqu’au fond de l’appartement la simple famille de cet honnête soldat.

Il y avait au fond de la chambre un petit piano de bois d’acajou, garni de vieux ornemens de cuivre. L’Adjudant (tout âgé et tout simple qu’il nous avait paru d’abord) était assis devant le clavier et jouait une suite d’accords d’accompagnement et de modulations simples, mais harmonieusement unies entre elles. Il tenait les yeux élevés au ciel et n’avait point de musique devant lui, sa bouche était entr’ouverte avec délices sous l’épaisseur de ses longues moustaches blanches. Sa fille, debout à sa droite, allait chanter ou venait de s’interrompre, car elle regardait avec inquiétude, la bouche entr’ouverte encore, comme lui. À sa gauche, un jeune sous-officier d’artillerie légère de la garde, vêtu de l’uniforme sévère de ce beau corps, regardait cette jeune personne, comme s’il n’eût pas cessé de l’écouter.