Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 2.djvu/198

Cette page a été validée par deux contributeurs.
192
REVUE DES DEUX MONDES.

souleva, il y a sept ans, une polémique si vive, si agile et si acharnée. Quelques-unes des questions traitées par l’auteur en 1827 sont revenues sous sa plume en 1834. Plusieurs se sont rétrécies en se spécialisant ; d’autres, au contraire, se sont élargies et renouvelées ; mais, pareilles ou diverses, ces questions pouvaient prétendre légitimement à l’intérêt et à la curiosité, car la position littéraire de l’auteur n’est plus la même aujourd’hui qu’en 1827. Alors, on s’en souvient, il marchait hardiment à la conquête d’un monde encore inconnu. Il avait, pour se soutenir et s’animer, l’espérance fervente de quelques amis qui sympathisaient avec ses ambitions, et l’inimitié vigilante de ceux qui voulaient garrotter la langue et la poésie dans l’imitation du passé. Aujourd’hui tout a changé de face. La polémique s’est ralentie ; les inimitiés sont apaisées. Celui qui appelait à la conquête ses disciples dévoués a pris en lui-même une confiance plus entière et plus sereine. Ce qu’il voulait, il l’a conquis ; il a touché la terre inconnue ; il a réalisé, sous des formes choisies et rêvées depuis long-temps, chacune de ses pensées ; il n’en est plus à dire qu’un art nouveau est possible en France ; cet art, il l’a personnifié dans des œuvres nombreuses ; il a jeté sa volonté dans tous les moules ; il a écrit sa fantaisie sur la pierre et le marbre ; il est donc naturel que sa pensée ait changé de style en changeant de puissance, et que la parole du novateur ait pris avec les années le ton du commandement et presque de la dictature. J’ai dit ailleurs ce que signifient et ce que peuvent durer les royautés dans l’art ; je n’ai pas à y revenir. Je me bornerai à extraire de la nouvelle préface de M. Hugo ce qui m’a paru le plus digne d’attention et de critique.

Il y a dans ce morceau des vues ingénieuses et très habilement présentées sur l’histoire de la langue française dans les trois derniers siècles. Si l’on peut blâmer dans ce fragment de philologie l’exubérance fastueuse des images, il faut reconnaître en même temps que les métamorphoses de la langue sont décrites avec une précision frappante et quelquefois caractérisées très heureusement. Pourtant il y aurait à faire plus d’une chicane sur l’exactitude rigoureuse des faits ; ainsi, par exemple, c’est à tort que l’auteur oppose l’idiome de Pascal à l’idiome de Rabelais. Rabelais n’écrivait pas la langue de son temps ; Rabelais est à Montaigne ce que Spen-