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LEONE LEONI.

à te présenter ; arrange tes cheveux, sois jolie, et quand je t’appellerai ma femme, n’ouvre pas de grands yeux étonnés.

Nous trouvâmes un souper exquis sur une table étincelant de vermeil, de porcelaines et de cristaux. Les deux convives me furent gravement présentés ; ils étaient Vénitiens, tous deux agréables de figure, élégans dans leurs manières, et, quoique bien inférieurs à Leoni, ayant dans la prononciation et dans la tournure d’esprit une certaine ressemblance avec lui. Je lui demandai tout bas s’ils étaient ses parens.

— Oui, me répondit-il tout haut en riant, ce sont mes cousins.

— Sans doute, ajouta celui qu’on appelait le marquis, nous sommes tous cousins.

Le lendemain, au lieu de deux convives, il y en eut quatre ou cinq différens à chaque repas. En moins de huit jours, notre maison fut inondée d’amis intimes. Ces assidus me dérobèrent de bien douces heures, que j’aurais pu passer avec Leoni, et qu’il fallut partager avec eux tous. Mais Leoni, après un long exil, semblait heureux de revoir ses amis et d’égayer sa vie ; je ne pouvais former un désir contraire au sien, et j’étais heureuse de le voir s’amuser. Il est certain que la société de ces hommes était charmante ; ils étaient tous jeunes ou élégans, gais ou spirituels, aimables ou amusans ; ils avaient d’excellentes manières et des talens pour la plupart. Toutes les matinées étaient employées à faire de la musique ; dans l’après-midi nous nous promenions sur l’eau, après le dîner nous allions au théâtre, et en rentrant on soupait et on jouait. Je n’aimais pas beaucoup à être témoin de ce dernier divertissement, où des sommes immenses passaient chaque soir de main en main. Leoni m’avait permis de me retirer après le souper, et je n’y manquais pas. Peu à peu, le nombre de nos connaissances augmenta tellement que j’en ressentis de l’ennui et de la fatigue ; mais je n’en exprimai rien. Leoni semblait toujours enchanté de cette vie dissipée. Tout ce qu’il y avait de dandies de toutes nations à Venise se donna rendez-vous chez nous pour boire, pour jouer, et pour faire de la musique. Les meilleurs chanteurs des théâtres venaient souvent mêler leurs voix à nos instrumens et à la voix de Leoni, qui n’était ni moins belle ni moins habile que la leur. Malgré le charme de cette société, je sentais de plus en plus le besoin du repos.