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peintures des plafonds et l’ancienne architecture étaient dans une harmonie parfaite avec les accessoires nouveaux. Notre luxe de bourgeois et d’hommes du nord est si mesquin, si entassé, si commun, que je n’avais jamais conçu l’idée d’une pareille élégance. Je courais dans les immenses galeries comme dans un palais enchanté ; tous les objets avaient pour moi des formes inusitées, un aspect inconnu ; je me demandais si je faisais un rêve, et si j’étais vraiment la patrone et la reine de toutes ces merveilles. Et puis cette splendeur féodale m’entourait d’un prestige nouveau. Je n’avais jamais compris le plaisir ou l’avantage d’être noble. En France on ne sait plus ce que c’est, en Belgique on ne l’a jamais su. Ici, le peu de noblesse qui reste est encore fastueux et fier ; on ne démolit pas les palais, on les laisse tomber. Au milieu de ces murailles chargées de trophées et d’écussons, sous ces plafonds armoriés, en face de ces aïeux de Leoni, peints par Titien et Véronèse, les uns graves et sévères sous leurs manteaux fourrés, les autres élégans et gracieux sous leur justaucorps de satin noir, je comprenais cette vanité du rang, qui peut être si brillante et si aimable quand elle ne décore pas un sot. Tout cet entourage d’illustration allait si bien à Leoni, qu’il me serait impossible aujourd’hui encore de me le représenter roturier. Il était vraiment bien le fils de ces hommes à barbe noire et à mains d’albâtre, dont van Dyck a immortalisé le type. Il avait leur profil d’aigle, leurs traits délicats et fins, leur grande taille, leurs yeux à la fois railleurs et bienveillans. Si ces portraits avaient pu marcher, ils auraient marché comme lui ; s’ils avaient parlé, ils auraient eu son accent. — Eh quoi ! lui disais-je en le serrant dans mes bras, c’est toi, mon seigneur Leone Leoni, qui étais l’autre jour dans ce chalet entre les chèvres et les poules, avec une pioche sur l’épaule et une blouse autour de la taille ? C’est toi qui as vécu six mois ainsi avec une pauvre fille sans nom et sans esprit, qui n’a d’autre mérite que de t’aimer ? Et tu vas me garder près de toi, tu vas m’aimer toujours et me le dire chaque matin comme dans le chalet ? Oh ! c’est un sort trop élevé et trop beau pour moi ; je n’avais pas aspiré si haut, et cela m’effraie en même temps que cela m’enivre.

— Ne sois pas effrayée, me dit-il en souriant, sois toujours ma compagne et ma reine. À présent, viens souper. J’ai deux convives