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LEONE LEONI.

vant les yeux, et dans mes rêves j’en voyais sortir une quantité d’objets bizarres : tantôt des cartes représentant des figures étranges, tantôt des armes sanglantes ; puis des fleurs, des plumes et des bijoux, et puis des ossemens, des vipères, des monceaux d’or, des chaînes et des carcans de fer.

Je me gardai bien de questionner Leoni et de lui laisser soupçonner ma découverte. Il m’avait dit souvent que le jour où j’apprendrais son secret, tout serait fini entre nous, et quoiqu’il me rendît grâce à deux genoux d’avoir cru en lui aveuglément, il me faisait souvent comprendre que la moindre curiosité de ma part lui serait odieuse. Nous partîmes le lendemain à dos de mulet, et nous prîmes la poste à la ville la plus prochaine jusqu’à Venise. Nous y descendîmes dans une de ces maisons mystérieuses que Leoni semblait avoir à sa disposition dans tous les pays. Celle-là était sombre, délabrée, et comme cachée dans un quartier désert de la ville. Il me dit que c’était la demeure d’un de ses amis absens ; il me pria de ne pas trop m’y déplaire pendant un jour ou deux ; il ajouta que des raisons importantes l’empêchaient de se montrer sur-le-champ dans la ville, mais qu’au plus tard dans vingt-quatre heures je serais convenablement logée et n’aurais pas à me plaindre du séjour de sa patrie.

Nous venions de déjeuner dans une salle humide et froide, lorsqu’un homme mal mis, d’une figure désagréable et d’un teint maladif, se présenta en disant que Leoni l’avait fait appeler. — Oui, oui, mon cher Thadée, répondit Leoni en se levant avec précipitation ; soyez le bien-venu, et passons dans une autre pièce, pour ne pas ennuyer madame de détails d’affaires.

Leoni vint m’embrasser une heure après ; il avait l’air agité, mais content, comme s’il venait de remporter une victoire. — Je te quitte pour quelques heures, me dit-il, je vais faire préparer ton nouveau gîte ; nous y coucherons demain soir.

Il fut dehors pendant tout le jour. Le lendemain il sortit de bonne heure. Il semblait fort affairé, mais son humeur était plus joyeuse que je ne l’avais encore vue. Cela me donna le courage de m’ennuyer encore douze heures, et chassa la triste impression que me causait cette maison silencieuse et froide. Dans l’après-midi, pour me distraire un peu, j’essayai de la parcourir ; elle était fort