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LA VEILLÉE DE VINCENNES.


ii.
Sur l’Amour du danger.


L’isolement ne saurait être trop complet pour les hommes que je ne sais quel démon poursuit par les illusions de poésie. Le silence était profond et l’ombre épaisse sur les tours du vieux Vincennes. La garnison dormait depuis neuf heures du soir, tous les feux s’étaient éteints à dix heures, par ordre des tambours. On n’entendait que la voix des sentinelles placées sur le rempart et s’envoyant et répétant l’une après l’autre leur cri long et mélancolique : Sentinelle, prenez garde à vous ! Les corbeaux des tours répondaient plus tristement encore, et ne s’y croyant plus en sûreté, s’envolaient plus haut jusqu’au donjon. Rien ne pouvait plus me troubler, et pourtant quelque chose me troublait qui n’était ni bruit ni lumière. Je voulais et ne pouvais pas écrire. Je sentais quelque chose dans ma pensée comme une tache dans une émeraude ; c’était l’idée que quelqu’un auprès de moi veillait aussi, et veillait sans consolation, profondément tourmenté. Cela me gênait. J’étais sûr qu’il avait besoin de se confier, et j’avais fui brusquement sa confidence par désir de me livrer à mes idées favorites. J’en étais puni maintenant par le trouble de ces idées même. Elles ne volaient pas librement et largement, et il me semblait que leurs ailes étaient appesanties, mouillées peut-être par une larme secrète d’un ami délaissé.

Je me levai de mon fauteuil. J’ouvris la fenêtre et je me mis à respirer l’air embaumé de la nuit. Une odeur de forêt venait à moi par-dessus les murs, un peu mélangée d’une faible odeur de poudre. Cela me rappela ce volcan sur lequel vivaient et dormaient trois mille hommes dans une sécurité parfaite. J’aperçus sur la grande muraille du fort, séparé du village par un chemin de quarante pas tout au plus, une lueur projetée par la lampe de mon jeune voisin ;