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pures comme l’or ? — Oh ! ciel ! je devine : tu es ruiné ! les papiers que tu attends n’apporteront que de mauvaises nouvelles. Henryet le sait, il te menace d’avertir mes parens. Sa conduite est infâme ; mais ne crains rien, mes parens sont bons, ils m’adorent ; je me jetterai à leurs pieds, je les menacerai de me faire religieuse ; tu les supplieras encore comme hier et tu les vaincras, sois-en sûr. Ne suis-je pas assez riche pour deux ? Mon père ne voudra pas me condamner à mourir de douleur ; ma mère intercédera pour moi… À nous trois nous aurons plus de force que ma tante pour le convaincre. Va, ne t’afflige plus, Leoni, cela ne peut pas nous séparer, c’est impossible. Si mes parens étaient sordides à ce point, c’est alors que je fuirais avec toi…

— Fuyons donc tout de suite, me dit Leoni d’un air sombre, car ils seront inflexibles. Il y a autre chose encore que ma ruine, quelque chose d’infernal que je ne peux pas te dire. Es-tu bonne, es-tu généreuse ? Es-tu la femme que j’ai rêvée et que j’ai cru trouver en toi ? Es-tu capable d’héroïsme ? Comprends-tu les grandes choses, les immenses dévoûmens ? Voyons, voyons ! Juliette, es-tu une femme aimable et jolie que je vais quitter avec regret, ou es-tu un ange que Dieu m’a donné pour me sauver du désespoir ? Sens-tu ce qu’il y a de beau, de sublime à se sacrifier pour ce qu’on aime ? ton ame n’est-elle pas émue à l’idée de tenir dans tes mains la vie et la destinée d’un homme, et de t’y consacrer tout entière ? Ah ! que ne pouvons-nous changer de rôle ! que ne suis-je à ta place ! avec quel bonheur, avec quel transport je t’immolerais toutes les affections, tous les devoirs !…

— Assez ! Leoni, lui répondis-je, vous m’égarez par vos discours. Grâce, grâce pour ma pauvre mère, pour mon père, pour mon honneur. Vous voulez me perdre…

— Ah ! tu penses à tout cela ! s’écria-t-il, et pas à moi. Tu pèses la douleur de tes parens, et tu ne daignes pas mettre la mienne dans la balance. Tu ne m’aimes pas…

Je cachai mon visage dans mes mains, j’invoquai Dieu, j’écoutai les sanglots de Leoni, je crus que j’allais devenir folle.

— Eh bien ! tu le veux, lui dis-je, et tu le peux, parle, dis-moi tout ce que tu voudras, il faudra bien que je t’obéisse, n’as-tu pas ma volonté et mon ame à ta disposition ?