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mienne devenir froide comme la mort ; un tremblement convulsif passa dans tout son corps, et je crus qu’il allait s’évanouir : mais tout cela fut l’affaire d’un instant.

— J’ai les nerfs horriblement malades, dit-il, je crois que je vais être forcé d’aller me coucher ; la tête me brûle, ce turban pèse cent livres.

— Oh ! mon Dieu ! lui dis-je, si vous partez déjà, cette nuit va me sembler éternelle et cette fête insupportable. Essayez de passer dans une pièce plus retirée et de quitter votre turban pour quelques instans, nous demanderons quelques gouttes d’éther pour calmer vos nerfs.

— Oui, vous avez raison, ma bonne, ma chère Juliette, mon ange. Il y a au bout de la galerie un boudoir où probablement nous serons seuls ; un instant de repos me guérira.

En parlant ainsi, il m’entraîna vers le boudoir avec empressement, il semblait fuir plutôt que marcher. J’entendis des pas qui venaient sur les nôtres, je me retournai et je vis Henryet qui se rapprochait de plus en plus et qui avait l’air de nous poursuivre ; je crus qu’il était devenu fou. La terreur que Leoni ne pouvait plus dissimuler acheva de brouiller toutes mes idées ; une peur superstitieuse s’empara de moi, mon sang se glaça comme dans le cauchemar, et il me fut impossible de faire un pas de plus. En ce moment, Henryet nous atteignit et posa une main qui me sembla métallique sur l’épaule de Leoni. Leoni resta comme frappé de la foudre et lui fit un signe de tête affirmatif, comme s’il eût deviné une question ou une injonction dans ce silence effrayant. Alors Henryet s’éloigna, et je sentis mes pieds se déclouer du parquet. J’eus la force de suivre Leoni dans le boudoir, et je tombai sur l’ottomane, aussi pâle et aussi consternée que lui.

Il resta quelque temps ainsi, puis tout à coup rassemblant ses forces, il se jeta à mes pieds : Juliette, me dit-il, je suis perdu, si tu ne m’aimes pas jusqu’au délire.

— Oh ! ciel ! qu’est-ce que cela signifie ? m’écriai-je avec égarement en jetant mes bras autour de son cou.

— Et tu ne m’aimes pas ainsi ! continua-t-il avec angoisse, je suis perdu, n’est-ce pas ?