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en un prophète, et, s’il eût promis de ramener le printemps au milieu de l’hiver, on l’en aurait cru capable. Au bout d’un mois de son séjour à Bruxelles, le caractère des habitans avait réellement changé. Le plaisir réunissait toutes les classes, aplanissait toutes les susceptibilités hautaines, nivelait tous les rangs. Ce n’étaient tous les jours que cavalcades, feux d’artifice, spectacles, concerts, mascarades. Leoni était grand et généreux ; les ouvriers auraient fait pour lui une émeute. Il semait les bienfaits à pleines mains, et trouvait de l’or et du temps pour tout. Ses fantaisies devenaient aussitôt celles de tout le monde. Toutes les femmes l’aimaient, et les hommes étaient tellement subjugués par lui, qu’ils ne songeaient point à en être jaloux.

Comment, au milieu d’un tel entraînement, aurais-je pu rester insensible à la gloire d’être recherchée par l’homme qui fanatisait toute une province ? Leoni nous accablait de soins et nous entourait d’hommages. Nous étions devenues, ma mère et moi, les femmes le plus à la mode de la ville. Nous marchions à ses côtés, à la tête de tous les divertissemens ; il nous aidait à déployer un luxe effréné ; il dessinait nos toilettes et composait nos costumes de caractère, car il s’entendait à tout, et aurait fait lui-même au besoin nos robes et nos turbans. Ce fut par de tels moyens qu’il accapara l’affection de la famille. Ma tante fut la plus difficile à conquérir. Long-temps elle résista, et nous affligea de ses tristes observations. — Leoni, disait-elle, était un homme sans conduite, un joueur effréné ; il gagnait et il perdait chaque soir la fortune de vingt familles ; il dévorerait la nôtre en une nuit. — Mais Leoni entreprit de l’adoucir, et il y réussit en s’emparant de sa vanité, ce levier qu’il manœuvrait si puissamment en ayant l’air de l’effleurer. Bientôt il n’y eut plus d’obstacles. Ma main lui fut promise avec une dot d’un demi-million : ma tante fit observer encore qu’il fallai avoir des renseignemens plus certains sur la fortune et la condition de cet étranger. Leoni sourit, et promit de fournir ses titres de noblesse et de propriété en moins de vingt jours. Il traita fort légèrement la rédaction du contrat, qui fut dressé de la manière la plus libérale et la plus confiante envers lui. Il paraissait à peine savoir ce que je lui apportais. M. Delpech, et sur la parole de celui-ci tous les nouveaux amis de Leoni, assuraient qu’il avait quatre