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panneaux de glace qui le protégeaient, et mon père disait avec raison qu’il n’était pas de décoration plus splendide pour un rez-de-chaussée. Ma mère, qui n’avait eu jusque-là que des éclairs d’ambition pour se rapprocher de la noblesse, n’avait jamais été choquée de voir son nom gravé en larges lettres de strass au-dessous du balcon de sa chambre à coucher. Mais lorsque, de ce balcon, elle vit Leoni franchir le seuil de la fatale boutique, elle nous crut perdues, et me regarda avec anxiété.

Dans le peu de jours qui avaient précédé celui-là, j’avais eu la révélation d’une fierté inconnue. Je la sentis se réveiller, et poussée par un mouvement irrésistible, je voulus voir de quel air Leoni faisait la conversation au comptoir de mon père. Il tardait à monter, et je supposais avec raison que mon père l’avait retenu pour lui montrer, selon sa naïve habitude, les merveilles de son travail. Je descendis résolument à la boutique, et j’y entrai en feignant quelque surprise d’y trouver Leoni. Cette boutique m’était interdite en tout temps par ma mère, dont la plus grande crainte était de me voir passer pour une marchande. Mais je m’échappais quelquefois pour aller embrasser mon pauvre père, qui n’avait pas de plus grande joie que de m’y recevoir. Lorsqu’il me vit entrer, il fit une exclamation de plaisir, et dit à Leoni : — Tenez, tenez, monsieur le baron, je vous montrais peu de chose ; voici mon plus beau diamant. — La figure de Leoni trahit une émotion délicieuse ; il sourit à mon père avec attendrissement et à moi avec passion. Jamais un tel regard n’était tombé sur le mien. Je devins rouge comme le feu. Un sentiment de joie et de tendresse inconnue amena une larme au bord de ma paupière, pendant que mon père m’embrassait au front.

Nous restâmes quelques instans sans parler, et Leoni, relevant la conversation, trouva le moyen de dire à mon père tout ce qui pouvait flatter son amour-propre d’artiste et de commerçant. Il parut prendre un extrême plaisir à lui faire expliquer par quel travail on tirait les pierres précieuses d’un caillou brut, pour leur donner l’éclat et la transparence. Il dit lui-même à ce sujet des choses intéressantes ; et, s’adressant à moi, il me donna quelques détails minéralogiques à ma portée. Je fus confondue de l’esprit et de la grâce avec laquelle il savait relever et ennoblir notre condition à