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brillait dans ma parure ; ma figure, qui ressemblait à la sienne, lui rappelait, ainsi qu’aux autres, la fraîcheur à peine altérée de sa première jeunesse, de sorte qu’en me voyant marcher, toute fluette à côté d’elle, elle croyait se voir deux fois, pâle et délicate comme elle avait été à quinze ans, brillante et belle comme elle l’était encore. Pour rien au monde, elle ne se serait promenée sans moi, elle se serait crue incomplète et à demi habillée.

Après le dîner recommençaient les graves discussions sur la robe de bal, sur les bas de soie, sur les fleurs. Mon père, qui ne s’occupait de sa boutique que le jour, aurait mieux aimé passer tranquillement la soirée en famille. Mais il était si débonnaire, qu’il ne s’apercevait pas de l’abandon où nous le laissions. Il s’endormait sur un fauteuil pendant que nos coiffeuses s’évertuaient à comprendre les savantes combinaisons de ma mère. Au moment de partir, on réveillait l’excellent homme, et il allait avec complaisance tirer de ses coffrets de magnifiques pierreries qu’il avait fait monter sur ses dessins. Il nous les attachait lui-même sur les bras et sur le cou, et il se plaisait à en admirer l’effet. Ces écrins étaient destinés à être vendus. Souvent nous entendions autour de nous les femmes envieuses se récrier sur leur éclat et prononcer à voix basse de malicieuses plaisanteries. Mais ma mère s’en consolait en disant que les plus grandes dames portaient nos restes, et cela était vrai. On venait le lendemain commander à mon père des parures semblables à celles que nous avions portées. Il envoyait au bout de quelques jours celles-là précisément, et nous ne les regrettions pas, car nous ne les perdions que pour en retrouver de plus belles.

Au milieu d’une semblable vie, je grandissais sans m’inquiéter du présent ni de l’avenir, sans faire aucun effort sur moi-même pour former ou affermir mon caractère. J’étais née douce et confiante comme ma mère, je me laissais aller comme elle au courant de la destinée. Cependant j’étais moins gaie, je sentais moins vivement l’attrait des plaisirs et de la vanité, je semblais manquer du peu de force qu’elle avait, le désir et la faculté de s’amuser. J’acceptais un sort si facile, sans en savoir le prix et sans le comparer à aucun autre. Je n’avais pas l’idée des passions. On m’avait élevée comme si je ne devais jamais les connaître, ma mère