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LEONE LEONI.

tristesse, oui, je sais, mon cher Aleo, que je suis flétrie dans le monde d’une désignation ineffaçable : fille entretenue.

— Nous l’effacerons, Juliette, mon nom purifiera le vôtre.

— Orgueil des grands ! reprit-elle avec un soupir. Puis se tournant tout à coup vers moi, et saisissant ma main qu’elle porta malgré moi à ses lèvres : — En vérité ! ajouta-t-elle, vous m’épouseriez, Bustamente ? mon Dieu ! mon Dieu ! quelle comparaison vous me faites faire ?

— Que voulez-vous dire, ma chère enfant ? — lui demandai-je. Elle ne me répondit pas et fondit en larmes.

Ces larmes dont je ne comprenais que trop bien la cause me firent beaucoup de mal. Mais je renfermai l’espèce de fureur qu’elles m’inspiraient, et je revins m’asseoir auprès d’elle.

— Pauvre Juliette, lui dis-je, cette blessure saignera donc toujours !

— Vous m’avez permis de pleurer, répondit-elle, c’est la première de nos conventions ?

— Pleure, ma pauvre affligée, lui dis-je ; ensuite écoute et réponds-moi ?

Elle essuya ses larmes et mit sa main dans la mienne.

— Juliette, lui dis-je, lorsque vous vous traitez de fille entretenue, vous êtes une folle. Qu’importent l’opinion et les paroles grossières de quelques sots ? Vous êtes mon amie, ma compagne, ma maîtresse…

— Hélas ! oui, dit-elle, je suis ta maîtresse, Aleo, et c’est là ce qui me déshonore ; je devrais être morte plutôt que de léguer à un noble cœur comme le tien la possession d’un cœur à demi éteint.

— Nous en ranimerons peu à peu les cendres, ma Juliette, laisse-moi espérer qu’elles cachent encore une étincelle que je puis trouver.

— Oui, oui, je l’espère, je le veux ! dit-elle vivement. Je serai donc ta femme ? Mais pourquoi ? t’en aimerai-je mieux ? te croiras-tu plus sûr de moi ?

— Je te saurai plus heureuse, et j’en serai plus heureux.

— Plus heureuse ! Vous vous trompez, je suis avec vous aussi