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LA VEILLÉE DE VINCENNES.

Je regardais avec plaisir la chapelle construite par saint Louis, et cette couronne de tours moussues et à demi ruinées qui servait alors de parure à Vincennes. Le donjon s’élevait au-dessus d’elles comme un roi au milieu de ses gardes. Les petits croissans de la chapelle brillaient parmi les premières étoiles au bout de leurs longues flèches. L’odeur fraîche et suave du bois nous parvenait par-dessus les remparts, et il n’y avait pas jusqu’au gazon des batteries qui n’exhalât une haleine de soir d’été. Nous nous assîmes sur un grand canon de Louis xiv, et nous regardâmes en silence quelques jeunes soldats qui essayaient leur force en soulevant tour à tour une bombe au bout du bras, tandis que les autres rentraient lentement et passaient le pont-levis deux par deux ou quatre par quatre avec toute la paresse du désœuvrement militaire. Les cours étaient remplies des caissons de l’artillerie, ouverts et chargés de poudre, préparés pour la revue du lendemain. À notre côté, près de la porte du bois, un vieil Adjudant d’artillerie ouvrait et refermait souvent avec inquiétude la porte très-légère d’une petite tour, poudrière et arsenal appartenant à l’arlillerie à pied, et remplie de barils de poudre, d’armes et de munitions de guerre. Il nous salua en passant. C’était un homme d’une taille élevée, mais un peu voûtée. Ses cheveux étaient rares et blancs, sa moustache blanche et épaisse ; son air ouvert, robuste et frais encore, heureux, doux et sage. Il tenait trois grands registres à la main, et y vérifiait de longues colonnes de chiffres. Nous lui demandâmes pourquoi il travaillait si tard contre la coutume. Il nous répondit, avec le ton de respect et de calme des vieux soldats, que c’était le lendemain un jour d’inspection générale à cinq heures du matin ; qu’il était responsable des poudres, et qu’il ne cessait de les examiner et de recommencer vingt fois ses comptes pour être à l’abri du plus léger reproche de négligence ; qu’il avait voulu aussi profiter des dernières heures du jour, parce que la consigne était sévère et défendait d’entrer la nuit dans la poudrière avec un flambeau ou même une lanterne sourde ; qu’il était désolé de n’avoir pas eu le temps de tout voir, et qu’il lui restait encore quelques obus à examiner ; qu’il voudrait bien pouvoir revenir dans la nuit ; et il regardait avec un peu d’impatience le grenadier que l’on posait en faction à la porte et qui devait l’empêcher d’y rentrer.